Depuis son annexion de la Crimée, le président russe Vladimir Poutine est jugé indésirable aux G8, devenus G7. Il réussit, néanmoins, à développer une stratégie diplomatique parallèle qui fait passer pour « has been » les membres de celui d’Elmau, où il était d’ailleurs au centre de toutes les discussions.
Exclu du G8 après l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine se trouvait pourtant au centre des discussions du sommet d’Elmau, les 7 et 8 juin 2015. Le communiqué final et les déclarations des chefs d’Etat et de gouvernement réunis accordent en effet une place prépondérante à la crise ukrainienne, à la stratégie russe dans le Donbass et aux sanctions contre la Russie.
En apparence, le président russe est le grand perdant de ce sommet. Mais, en réalité, il sort paradoxalement renforcé de la séquence. Loin d’avoir tort, le grand absent d’Elmau pourrait bien avoir raison : en Italie et en Asie, il utilise la tension avec l’Ouest pour avoir les coudées franches et renforcer ses positions sur la scène mondiale, par une diplomatie bilatérale fort active et par un « pivot » ambitieux vers l’Asie.
Le G7 de Elmau : un revers apparent pour le président russe.
Depuis mars 2014, l’histoire des relations tumultueuses entre Russie et Occident semble revenir en arrière : le G8 post Guerre Froide est redevenu le G7 des pays occidentaux sans (ou contre) la Russie. Associée dans un format G7+1 en 1994 et formellement intégrée au club du G8 en 1997, la Russie s’est trouvée mise au ban de cette enceinte multilatérale prestigieuse mais en déclin suite au rattachement de la Crimée en mars 2014.
Si on en croit les titres de la presse internationale, le G7, accueilli par l’Allemagne, cette semaine, a débouché sur une mise en garde renouvelée aux autorités russes : affirmant leur « fermeté », faisant montre de leur « unité », exerçant une « « pression » sur la Russie, « maintenant les sanctions et ouvrant la voie à leur durcissement » le 25 juin prochain par les Etats membres de l’Union européenne, les chefs d’Etat et de gouvernement des sept pays les plus industrialisés sont portraiturés sous des traits presque martiaux par leurs médias nationaux.
Assurément, le communiqué final du G7 démontre une posture résolument méfiante vis-à-vis de la Russie.
...De même, les préoccupations exprimées par le G7 sur la reprise des combats visent, en termes à peine voilés, les risques d’offensives séparatistes à l’été avec le soutien actif de troupes russes massées depuis plusieurs semaines à la frontière, comme évoqué le 19 mai 2015 dans ces colonnes[1]. A souligner les risques d’escalade, les Occidentaux n’incriminent évidemment pas l’impuissance armée de la présidence Porochenko enlisée dans une « opération anti-terroriste » sans grands résultats, mais bien plutôt les parties séparatistes et russes actuellement en position de force sur le terrain.
Cette attitude géopolitique offensive se manifeste tout particulièrement en matière de sanctions économiques.
Les membres du G7 ne se contentent pas d’affirmer haut et fort la nécessité de les maintenir alors même que le front uni des Occidentaux a paru se fissurer durant les derniers mois. Ils évoquent même collectivement la possibilité de les durcir....
Le G7 ne s’est pas seulement érigé en club ayant exclu un de ses membres turbulents. Il s’est affirmé ou réaffirmé comme une instance veillant à la sécurité du monde contre les risques que la Russie fait courir à la paix, au même titre que les « terroristes » de Daech’ pointés par le même communiqué.
...
En somme, le président russe semble avoir fait les frais de discussions tenues sans lui.
Les absents auraient-ils toujours tort en diplomatie aussi ? C’est sans compter sur les capacités de Vladimir Poutine à prendre ses partenaires à contrepied et à utiliser ses temps faibles pour les convertir en temps forts.
Stratégie du contrepied : omniprésence médiatique et tactiques bilatérales.
Les déclarations collectives et individuelles de ces derniers jours ne doivent pas occulter les bénéfices que la Russie engrange actuellement.
Les déclarations inquiètes sur le retour de la Guerre Froide, sur la reconstitution de l’empire soviétique et sur l’expansionnisme militariste russe accréditent des idées outrageusement favorables à la Russie. C’est la Russie qui a, en fait, intérêt à faire croire à une nouvelle Guerre Froide. Cela hausse en effet la Russie au niveau de l’URSS, ce qui est loin d’être le cas.
...
Les conclusions du G7 ont également offert au président russe un aliment irremplaçable d’exposition médiatique dans les pays émergents ou réémergents. Quand il qualifie le G7 de « club social » et lui dénie le statut d’organisation internationale, il n’est perçu comme agressif ou décalé qu’en Europe et aux Etats-Unis.
En Inde, en Chine, en Indonésie, au Brésil, dans les pays arabes, il est approuvé dans sa critique d’un directoire mondial issu des années 1970. Le G7, en l’excluant puis en le stigmatisant, lui donne une fonction tribunitienne idéale de porte-parole d’émergents souhaitant bousculer les schémas de gouvernance mondiale issus de la deuxième guerre mondiale (pêle-mêle Conseil de Sécurité des Nations-Unis, FMI, OTAN, G7, etc.).
Paradoxalement, le G7 d’Elmau donne à la Russie la possibilité d’être le porte-parole des émergents alors même qu’elle est le plus atypique et le moins émergent des BRICS et des Next 11.
Maître tacticien, le président russe a également déployé des efforts diplomatiques bilatéraux considérables en visite officielle au Vatican auprès du pape François et en appelant l’Italie de Matteo Renzi à privilégier ses intérêts nationaux sur les sanctions à l’égard de la Russie.
Il a habilement ménagé un contraste entre l’isolement presque autiste du château bavarois du G7 et la foule technophile de l’exposition universelle de Milan. Si bien qu’il fait douter les opinions : Poutine est-il exclu du G7 ou l’a-t-il quitté volontairement pour se consacrer à la seule diplomatie qui compte, la bilatérale ?
Les initiatives russes à l’égard de la République hellénique d’Alexis Tsipras, la coopération inégalitaire mais intense avec la Chine, l’activisme en Méditerranée orientale, etc. tous ces facteurs dissipent, au moins optiquement, l’idée d’un isolement russe. Paradoxalement, le président russe a fait apparaître le multilatéralisme oligarchique du G7 comme has been et la diplomatie bilatérale comme bien plus en phase avec le cours du monde.
Enfin, loin de décourager par avance une offensive d’été, les déclarations résolues d’Elmau ont placé la Russie dans la position de puissance accusée, humiliée et brimée. Elle se trouvera donc fondée à répondre aux agressions dont elle s’estime la victime.
Humilier durablement la Russie n’est plus une bonne idée. Surtout quand elle est capable de retourner la situation en grande partie à son avantage, sur le terrain, dans les médias et dans les chancelleries.
Omniprésent médiatiquement à la faveur de ses déplacements italiens, le président russe éclipse presque le sommet allemand ; porte-parole autoproclamé des émergents, il rappelle au monde les imperfections évidentes du G7 ; victime des Occidentaux, il se réserve la possibilité de riposter.
Absent d’Elmau, le président russe n’a jamais été aussi présent – et aussi actif – sur la scène mondiale. Les absents ont souvent tort, sauf quand ils organisent leur omniprésence là où elle compte.
Cyrille Bret