
Carte de la France périphérique avec les lieux des attentats islamistes (ou tentatives) depuis 1994 (O.HANNE)
Depuis quelques années, les travaux du géographe Christophe Guilluy [1] ont souligné ce que les universitaires et les urbanistes n’ignoraient pas : la fracture grandissante dans la société et dans la géographie française entre des territoires intégrés aux grandes métropoles et à la mondialisation, et une "France périphérique". Cette dernière est formée d’espaces relégués, périurbains ou semi-ruraux,peuplés par 60 % de la population, pour l’essentiel ouvriers, employés et agriculteurs, tous en voie de déclassement.
Dans ces fractures, les cités de banlieue sont à la charnière, puisqu’elles se situent dans l’orbite des métropoles enrichies et ouvertes sur l’international, mais souffrent de pauvreté, de chômage et d’insécurité.
Attaques terroristes, une préférence pour les grandes villes
Cette nouvelle géographie des fragilités françaises exprime aussi quelque chose de l’état du djihadisme et du terrorisme islamiste depuis vingt ans. En effet, la localisation des principaux attentats ou des tentatives d’attentats sur le territoire national depuis 1994 montre que les cibles visées sont toutes situées dans des zones métropolitaines, soit dans le centre-ville lui-même, soit à proximité directe.
Paris, bien sûr, cumule la plupart des tentatives en raison de la concentration des pouvoirs politiques, des ambassades et des communautés juives. Le djihadiste vise les métropoles car elles sont la vitrine du monde qu’il rejette, monde d’impiété, d’athéisme, de consommation et de mépris de l’islam.
Les zones isolées, berceau des futurs djihadistes
En revanche, les lieux de vie des terroristes islamistes relèvent rarement de cette France qui gagne et échange, mais plutôt de la "France périphérique". Les quelques profils connus de djihadistes partis en Syrie montrent que, spatialement, ils étaient soit issus des quartiers ethnicisés des banlieues des grandes agglomérations, soit des petites villes endormies de province, des quartiers périurbains délaissés ou du monde rural en voie de périurbanisation.
Les "cités" HLM de banlieue ont souvent offert au recrutement du djihad des hommes issus de la 3egénération d’immigrés du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, éloignés de la pratique puis soudainement repris par le salafisme et le mouvement du Tabligh. Le monde périurbain, lui, a fourni plutôt des jeunes garçons d’origine athée ou chrétienne, convertis à l’islam.
La France des villes-centres, technologique, connectée, celle des cadres, la France qui voyage à l’étranger, apprend l’anglais, l’allemand ou l’espagnol, la France qui vote, elle, n’offre rien d’autre au djihad que des cibles potentielles.
Le djihadisme se nourrit des identités perdues
Ces quelques remarques – qui nécessiteraient, bien sûr, une multitude de nuances – prouvent à l’évidence que la question du terrorisme islamiste en France dépasse de loin le problème économique ou psychologique, comme on l’a trop soutenu. On ne devient pas djihadiste par désoeuvrement social : la France périphérique, bien que déclassée, est une France qui travaille, qui a un logement et quelques loisirs.
En revanche, la question est éminemment culturelle, nous dirions même géoculturelle [2] : outre le facteur religieux qui échappe à la rationalité, le djihadisme se nourrit des cultures en faillite et des identités perdues. Les métropoles ont construit autour de l’ouverture au monde une nouvelle culture mobilisatrice, tandis que la "France périphérique" n’a pas encore remplacé ses solidarités anciennes, ses attachements religieux et son enracinement local. C’est sur ce vide que prospère l’appel à la guerre sainte.
[1] "Fractures françaises", Bourin, 2010 ; "La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires", Flammarion, 2014.
[2] Olivier Hanne, Thomas Flichy, "Géoculture, plaidoyer pour des civilisations durables", Lavauzelle, 2015.