Au soir du 4 septembre dernier, l’agent X a décidé de tirer le signal d’alarme, en envoyant un message à la rédaction de L’Alsace. « Aujourd’hui, dans le train 830425 au départ de Belfort , écrivait-il, une personne en situation de handicap qui emprunte régulièrement le train a été prise à partie vers 16 h 30 et rouée de coups par une bande. Les gendarmes sont intervenus en gare d’Illfurth à la suite d’un signalement du conducteur de train. »
« Des enfants pleuraient et hurlaient »
« Le samedi 15 août déjà, dans le train Mulhouse-Belfort 830432, vers 19 h 50, une rixe entre une personne et quatre autres avait éclaté. La scène s’étant déroulée devant des familles, des enfants pleuraient et hurlaient. Des dégâts importants dans le train – vitre cassée, projection de sang – ont été constatés par la police et les pompiers en gare de Belfort. Sur les 18 derniers mois, on décompte également trois agressions de conducteurs de train sur la ligne Mulhouse-Kruth : un coup de poing au visage en gare de Cernay, une menace par arme à feu en gare d’Oderen, ainsi que le caillassage de la cabine de conduite du conducteur en gare de Moosch. »
Il y eut d’autres messages après celui-ci. Le dimanche 27 septembre en début d’après-midi, une nouvelle altercation entre deux groupes se produisait entre Willer et Moosch, amenant une voyageuse apeurée à frapper à la porte du conducteur. En vain.
Samedi 10 octobre, entre Mulhouse et Belfort, alors qu’une panne de courant sur le poste d’aiguillage informatique de Strasbourg – qui régule l’ensemble de la plaine d’Alsace – avait entraîné un retard de près de deux heures, un homme giflait une mère et son enfant de 4 ans, qu’elle venait de réprimander.
« On roulait à 160 km/h, à la hauteur de Dannemarie, raconte le conducteur du train en question. Plusieurs personnes ont frappé à ma porte… C’est un stress énorme pour le conducteur qui perçoit un mouvement de foule à l’arrière mais ne sait pas ce qui se passe, n’a aucun visuel, alors qu’il doit rester concentré sur la conduite, la signalisation. Heureusement, un collègue qui ne tra-vaillait pas était à bord et est intervenu pour calmer le jeu. J’ai demandé l’intervention de la police en gare de Belfort et l’individu a été interpellé. »
« Les trains sont devenus des zones de non-droit »
Ce second témoin se souvient aussi d’un dimanche matin quand, en prenant son service à Mulhouse, il a dû ramener au dépôt un train laissé à quai : « Quand j’ai ouvert les portes, j’ai découvert du sang, du verre brisé, des sièges arrachés… Une rixe avait eu lieu la veille au soir entre Bâle et Mulhouse. Imaginez ce qu’avaient vécu le conducteur et les autres voyageurs éventuels ! »
« Les trains sont devenus des zones de non-droit » , estime l’agent X. En cause, selon lui : la disparition des contrôles systématiques avec la mise en place de l’« équipement agent seul » (EAS, lire ci-contre). « Les contrôles sont réalisés une fois par semaine au maximum, il n’y a plus d’agents dans les trains, ni dans la plupart des gares… » , constate-t-il.
L’absence de contrôleurs crée les conditions objectives d’un sentiment d’insécurité. Quand des individus montent dans le train sans billet, fument, boivent, parlent fort, chahutent, ceux qui paient un billet ou un abonnement peuvent éprouver, à tout le moins, de l’agacement. Quand la situation dérape et que la violence explose, ils se retrouvent piégés, sans recours ni secours. Les conducteurs disent se sentir responsables de ceux qu’ils transportent et ces violences perturbent profondément leurs conditions de travail. D’autant qu’eux aussi sont parfois visés, menacés.
« Lorsque des individus bloquent les portes, il faut intervenir pour éviter de prendre du retard. La direction laisse entendre qu’on ne doit pas s’exposer, qu’il faut rester cloîtré dans la cabine. Mais si on s’expose, c’est parce qu’on souhaite faire notre travail ! »
Si l’agent X se veut « lanceur d’alerte » , il affirme que cette insécurité est devenue un sujet majeur de préoccupation des conducteurs : « Certains ont démissionné, notamment pour cette raison. Un collègue qui circulait beaucoup entre Mulhouse et Bâle a demandé sa mutation au fret… On part travailler avec la boule au ventre et, avant de prendre notre service, on se souhaite bonne chance. »