
Dans la foulée de l’attentat à la mosquée de Québec qui a fait six morts, est-il encore possible de critiquer certaines pratiques se réclamant de l’islam sans se faire taxer d’islamophobie ? Des députés fédéraux se le demandent. Et c’est en partie pour préserver la liberté d’expression qu’ils refusent d’appuyer une motion condamnant la discrimination religieuse systémique.
La motion 103 pilotée par la députée libérale Iqra Khalid enjoint à la Chambre des communes de « reconnaître qu’il faut endiguer le climat de haine et de peur qui s’installe dans la population » et de « condamner l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques ». La motion demande aussi qu’un comité parlementaire entame une étude pour suggérer à Ottawa une approche « pangouvernementale » de lutte contre l’islamophobie.
La motion a été déposée en décembre, mais la récente fusillade à Québec lui donne une nouvelle couleur. Elle a été débattue pour une première fois mercredi soir à la Chambre des communes et devrait être mise aux voix au printemps. Si les libéraux et les néodémocrates ont annoncé qu’ils voteront en bloc en sa faveur, les conservateurs sont déchirés et une grande majorité d’entre eux voteront contre. Le Bloc québécois s’y oppose aussi. Peu ont accepté de prononcer le mot, mais le niqab occupe les esprits.
Maxime Bernier est du lot des opposants. « Il y a un courant dans l’islam, qui ne se limite pas nécessairement aux islamistes radicaux, qui dit que personne ne devrait critiquer cette religion ou s’en moquer. Rappelez-vous juste la controverse entourant les caricatures du prophète Mahomet il y a quelques années », écrit-il sur son blogue. Il confirme au Devoir que le voile islamique fait partie des choses qu’il craint de ne plus pouvoir critiquer à cause de M-103.
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Liberté d’expression
L’histoire démontre que les conservateurs sont allergiques à toute mesure légale visant à limiter la liberté de parole. En 2013, ils ont abrogé l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui interdisait de disséminer des propos « susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable ». Les conservateurs estimaient cette notion trop floue et préféraient l’article 319 du Code criminel qui interdit le discours haineux s’il « est susceptible d’entraîner une violation de la paix ».
Les conservateurs avaient en tête la mésaventure du commentateur de droite Ezra Levant, qui après avoir reproduit dans le Western Standard les caricatures danoises de Mahomet avait fait l’objet d’une plainte d’un imam en vertu du pendant albertain de l’article 13. La poursuite avait finalement été abandonnée.
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Les transgenres aussi
Le malaise conservateur à propos de la liberté d’expression se manifeste aussi ces jours-ci à propos du projet de loi C-16, qui établit l’identité sexuelle comme un motif illicite de discrimination. Adopté à la Chambre des communes, le C-16 poireaute au Sénat depuis novembre parce que les conservateurs ajournent le débat sans arrêt. Seulement sept sénateurs ont pris la parole à ce jour.
Des conservateurs comme Maxime Bernier et Pierre Lemieux reconsidèrent leur appui initial à C-16 à la lumière du cas de Jordan Peterson. Ce professeur de l’Université de Toronto refuse d’utiliser, comme le lui demandent des étudiants rejetant la binarité sexuelle, des pronoms inventés tels que « ze », « zir » ou « zim » ou le pronom pluriel « they » au lieu des pronoms sexués « he » et « she ». Le professeur, qui estime ne pas avoir à bâtarder la langue anglaise, se fait accuser de transphobie. Les deux élus craignent que C-16 soit utilisé pour le punir.
Selon Maxime Bernier, de tels gens ne militent pas pour l’égalité, qu’il dit défendre. Ce sont plutôt des « activistes de la gauche radicale qui tentent de déconstruire les normes sociales traditionnelles et d’imposer leur perspective marginale à tout le monde, y compris en nous forçant à changer notre façon de parler ».