L’Express a eu accès à la correspondance entre les deux terroristes sur la messagerie chiffrée Telegram, les jours précédant l’attaque. Un mélange de froide détermination, d’improvisation totale et de doutes mystiques.
“Frère, mon âme est faible, je le jure par Allah. Tout seul, j’ai du mal avec une arme blanche. Si je peux avoir une arme à feu, j’y vais tout seul. Mais, si tu peux me trouver un frère, grâce à Dieu…” Ce mardi 22 juillet 2016, à 15h05, via la messagerie chiffrée Telegram, Abdelmalik Petitjean, 19 ans, dialogue avec un jeune adulte du même âge: Adel Kermiche. Après quelques échanges insignifiants, ce dernier lui adresse une réponse décisive: oui, il connaît un “frère très sérieux” qui veut “taper au plus tôt et [qui] a des plans”.
Les deux hommes ne se connaissent pas. Ils viennent à peine d’échanger leurs prénoms et vivent à 700 kilomètres de distance. Le premier habite chez sa mère à Aix-les-Bains (Savoie), le second est assigné à résidence au domicile de ses parents, près de Rouen (Seine-Maritime).
Pourtant, quatre jours plus tard, ces deux candidats au djihad -qui ont échoué à rejoindre les rangs de l’Etat islamique en Syrie-, vont commettre un assassinat ignoble. Le 26 juillet, à 9 heures, ils pénètrent dans l’église de Saint-Étienne-de-Rouvray, en hurlant “Allah akbar!” Là, ils égorgent le père Jacques Hamel, 86 ans, blessent grièvement un paroissien et retiennent en otage quatre femmes, avant d’être abattus par les policiers.
Un an après ce drame, qui avait suscité l’émotion dans le monde entier, L’Express a eu accès à l’intégralité des messages écrits et audio échangés par les tueurs sur Telegram. L’ensemble, rédigé dans un sabir composé d’invocations incessantes à Dieu en arabe, de français truffé de fautes d’orthographe et d’abréviations propres au langage des jeunes, constitue une plongée glaçante dans la psyché des deux terroristes. Tour à tour, on y décèle un sectarisme affolant, une volonté implacable de tuer des “mécréants”. On découvre aussi chez eux une improvisation totale, une exaltation hallucinée, ainsi que des doutes nourris par un mysticisme de pacotille.
Ces messages chiffrés, retrouvés le lendemain de l’attaque sur un ordinateur lors d’une perquisition chez la soeur de Petitjean à Montluçon (Allier), alertent alors les services spécialisés de l’existence d’une nouvelle menace: manipulés par le djihadiste Rachid Kassimdepuis la zone irako-syrienne, des jeunes radicalisés et non identifiés sont susceptibles de se rencontrer “virtuellement” sur Telegram et d’échafauder un projet terroriste avec des moyens dérisoires. Dans les semaines qui suivent l’attentat dans l’église, la police va interpeller plusieurs personnes, y compris des mineurs, prêts à passer à l’acte.
“Tu m’as dit que tu es chaud. Tu es d’où?”
Adel Kermiche et Abdelmalik Petijean sont abonnés à une chaîne Telegram diffusant de la propagande djihadiste. Le 22 juillet, à 0h44, ils établissent un premier contact privé. “Frère, si tu as des techniques d’action, n’hésite pas, et/ou des Frères ‘déter’ [déterminés] insh’Allah”, lance Petitjean, qui est fiché “S” depuis quelques semaines, après avoir tenté de rallier la Syrie à partir d’Istanbul. “J’en ai plein tqt [ne t’inquiète pas]. Je te tiens au courant, frère”, répond aussitôt son complice.
La conversation reprend dans l’après-midi.
– “Tu m’as dit que tu es chaud, akhy [frère]. Tu es d’où?, interroge Kermiche.
– Oui, bouillant, frère. [Je suis] de Savoie. A côté de Lyon.
– Tu peux bouger?
– Oui.”
Le jeune Savoyard est prêt à prendre un train dès le lendemain matin. La destination? Rouen. Problème: aucun train n’assure une liaison directe le mercredi. Petitjean décide alors de recourir au co-voiturage, en faisant étape à Paris.
Mails il veut tout d’abord s’assurer du sérieux de l’entreprise: “C’est un frère qui a un plan?”, demande-t-il à Kermiche. “Oui, oui, un très bon plan, mais il peut rien dire, là. Il veut parler en face à face”, répond ce dernier, qui, manifestement, ne veut pas révéler que le “frère” est question n’est autre que lui-même.
Kermiche demande à son tour des preuves de confiance: “Tu as une photo de toi? Pour être sûr que t’es pas un indic…” Petitjean s’exécute. Il envoie à son correspondant une photo de lui assis devant un drapeau de Daech, puis une vidéo dans laquelle il interpelle François Hollande et appelle les musulmans à […]
Suite à lire sur L’Express, Boris Thiolay, 26/07/2017