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18 novembre 2017 11:56
“Servir”, par le général De Villiers : quand la Grande Muette se met à parler

Défense. Trois mois et demi après sa démission, le général de Villiers sort du silence en publiant Servir, préparé dans le plus grand secret. Un livre événement dont l’Élysée tente de minimiser la portée.

Depuis la parution de Servir, livre dans lequel l’ancien chef d’état-major des armées le général Pierre de Villiers revient sur sa démission — le général François Lecointre lui a succédé — et lance un appel d’espérance pour la France, les réactions pleuvent à gauche comme à droite, pour saluer le parcours et l’honneur de l’officier dont le destin a ému les Français l’été dernier. Mais aussi pour rendre hommage au courage du général qui, après quarante-trois années de service irréprochable, a assumé de se retirer après un différend budgétaire avec Emmanuel Macron — le gel de 850 millions d’euros pour l’année 2018 dans le budget des armées qui s’élève à 32,8 milliards d’euros.

“Impossible de poursuivre ma mission”

Et surtout pour une autre raison, celle de la saillie du chef de l’État le 13 juillet au soir, dans les jardins de l’hôtel de Brienne, devant toute la hiérarchie militaire et en présence de son homologue américain : « Il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements, je suis votre chef », a ainsi lancé Macron en visant Villiers, sans le citer expressément. Humilié, « il me semblait impossible de poursuivre ma mission. […] le lien de confiance était trop dégradé », écrit aujourd’hui Villiers, avant d’en venir à l’évidence, « ce sera donc la démission ».

Dans ce livre écrit dans le plus grand secret sur ses terres vendéennes — seuls l’éditeur et sa famille proche étaient au courant —, le général de Villiers a choisi un titre qui pourrait évoquer à lui seul un nouvel engagement politique dont l’auteur se défend pourtant. Celui qui ne porte plus l’uniforme raconte la conséquence irrévocable de sa décision et l’émotion de sa dernière journée : « Juste avant de partir pour l’Élysée le lundi 17 juillet, j’ai rangé mon casoar dans sa boîte. C’était fini. » « Quel gâchis d’en être arrivés là ! », conclut-il.

“Une plaie encore béante, ouverte”

Paradoxalement, s’il est une voix qu’on n’entend pas depuis le début de l’incroyable offensive médiatique — bonnes feuilles dans le Monde, grand entretien dans le Point, matinale de RTL, 20 heures de TF1, émission de Ruth Elkrief sur BFM TV — pour promouvoir le livre du général de Villiers, c’est celle de celui par qui l’histoire s’est produite, à savoir… Emmanuel Macron. Mis à part quelques réactions avant la parution, l’Élysée semble s’être plongé dans le silence. Consigne a même été passée auprès des ministres de s’interdire de réagir à cette vague médiatique ciselée au détail près.

La grande muette serait désormais plutôt l’Élysée. Et pourtant, le général cinq étoiles l’assure : il a veillé à adresser son livre au chef de l’État avant la parution — il décrit d’ailleurs leurs relations « empreintes de franchise, de confiance et de cordialité » —, auquel il a joint une lettre manuscrite personnelle, dont le contenu demeure confidentiel. Officiellement, le président « ne réagira pas parce qu’il ne commente pas publiquement les livres qui lui sont remis personnellement », indique une source qui a évoqué le sujet avec lui.

Une affaire qui a laissé des traces

Une autre raison, plus terre à terre, l’oblige davantage : le président n’a en réalité aucune envie de remettre une pièce dans la machine-à-ouvrir-despolémiques-avec-l’armée. Un traumatisme. Car pour Emmanuel Macron, la démission fracassante du général de Villiers, qu’il venait de prolonger pour un an le 30 juin dernier, a rimé avec son premier décrochage dans les sondages ( – 10 points selon un baromètre Ifop publié dans le JDD le 23 juillet), quelques semaines seulement après son élection. Pensant — à tort — pouvoir récupérer le « sceptre d’autorité » du général de Villiers en rappelant « je suis votre chef », le tout juste chef des armées a pris conscience « un peu tard », reconnaissait-on à l’Élysée en septembre, des dégâts causés par ses prises de position, au sein des armées mais aussi au-delà, dans l’opinion publique.

Cette fois donc, pas question de réagir, de créer l’événement, comme le ministre Christophe Castaner qui avait jeté de l’huile sur le feu, à l’apogée de la polémique, en reprochant au général de Villiers, avec maladresse et irrespect, un « comportement inacceptable […]. Il s’est comporté en poète revendicatif ». Ce qui n’a pas empêché le général, sans lui répondre directement, d’adresser dans le Point un clin d’oeil à la poésie en mettant au défi le lecteur de tomber sur des alexandrins dans son livre !

Le général de Villiers ne règle pas de comptes

Estimant que depuis le début c’est le général de Villiers qui a déclenché les hostilités, en lâchant dans le huis clos d’une audition parlementaire — rappelons que l’intérêt du huis clos est de pouvoir dire la vérité à la représentation nationale, avec la garantie “théorique” que les échanges ne fuiteront pas dans la presse — : « Je ne vais pas me faire baiser » par Bercy, alors qu’il venait d’apprendre une baisse du budget de l’armée pour l’année 2018. À l’Élysée, l’épisode n’a pas été digéré. D’autant qu’en ancien patron de Bercy, Emmanuel Macron s’est senti directement visé. Ce qui n’était aucunement l’intention de Villiers. Incompréhension… Reprenant les mots du militaire à leur compte, certains conseillers élyséens n’hésitent pas à parler eux aussi de « gâchis », quelques jours après la sortie du livre. D’autres, toujours en colère contre celui à qui ils reprochent d’avoir « défié le chef de l’État » et d’avoir été « déloyal », emploient des mots plus durs, voire des noms d’oiseaux pour parler du « connard qui a fait chuter Emmanuel dans les sondages ».

Si, pour Villiers, les propos du président sont allés trop loin le soir du 13 juillet, à l’Élysée, on fait donc les mêmes reproches au général pour son attitude les jours suivants. La plaie serait encore « grande ouverte, béante », confie un conseiller élyséen. Incompréhension totale entre deux mondes.

“Nous ne sommes pas des acteurs”

Au fond, l’explication peut se trouver dans le livre tiré à 85 000 exemplaires : « Nous, les militaires, ne sommes pas des acteurs, qui nous mettons en scène […] nos engagements sur le terrain sont souvent là pour rappeler que toute lâcheté se paie cash. » Et Villiers de conclure, conscient de la portée de ses mots, « la guerre se fait à balles réelles ». L’incompréhension entre le pouvoir politique et le militaire est telle dans le cas qui a opposé le général et le président que, dans les dernières pages, le chef estimé de ses hommes a tenu à y consacrer trois pages.

S’il reconnaît que le politique est « soumis à des pressions, des urgences venant de toutes parts », le militaire « est centré sur la force armée, il sait que des opérations durent souvent au-delà d’un quinquennat », décrypte-t-il, avant de confier : « Le militaire, lui, reste souvent dans la sincérité du premier degré. » Toujours loyal, il rappelle toutefois ce qui pouvait arriver et advint, « j’ai toujours su que nos différences pourraient devenir des désaccords et que je ne saurais avoir le dernier mot face au représentant de la nation ». D’ailleurs, ce livre n’est pas l’occasion pour le général de régler ses comptes. Ceux qui rêvaient de pouvoir interpréter le début d’une insoumission ou d’un putsch seront déçus ! ...

En écrivant Servir, qu’il projetait de faire paraître de toute manière, à la fin de sa carrière de soldat, le général de Villiers a essayé d’« expliquer qui nous sommes, nous les militaires ». Depuis les attentats de 2015, les armées ont gagné en popularité « car elles incarnent une stabilité de valeurs et une institution qui force le respect », défend-il. Saluant à plusieurs reprises l’action de Jean-Yves Le Drian, qui restera selon lui un grand ministre de la Défense de la Ve République, il n’hésite toutefois pas à émettre des craintes sur l’état des forces armées, obligées parfois d’annuler des opérations, faute de moyens. Mais aussi des craintes quant aux crises à venir, qu’il distingue en deux catégories : le terrorisme islamiste d’une part et la menace des « États-puissances » de l’autre.

Des constats aujourd’hui bien connus d’Emmanuel Macron, qui sait désormais que pour être un bon chef apprécié de ses troupes il faut respecter les soldats et leur faire confiance.

Servir, du général Pierre de Villiers, Fayard, 256 pages, 20,90 €.

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