Révolution française. Cela aurait pu être une simple jacquerie. Mais sous l’inspiration d’un modeste colporteur, Jacques Cathelineau, le soulèvement du bocage est devenu en quelques semaines une insurrection qui a fait trembler la République.
Ce dimanche 10 mars 1793, sur la place de Saint-Florent, un bourg sur la rive gauche de la Loire, le citoyen Duval, procureur-syndic de la commune, se juche sur une chaise et lit le décret de la Convention visant à réquisitionner 300 000 hommes dans tout le pays par tirage au sort. Pour le pouvoir révolutionnaire, assiégé par les armées des souverains coalisés, cette levée en masse est une question de vie ou de mort : il faut dépêcher au plus vite des renforts sur les frontières ou voir la République périr.
Mais les Florentais ne l’entendent pas ainsi. Duval est molesté par un groupe de jeunes hommes, vite incarcérés. Au moment d’être appréhendé, l’un d’eux, un dénommé Barbot, lance à Duval : « Sois sûr d’une chose : c’est que mardi je sortirai de prison. »
Dans ses Souvenirs, la comtesse de La Bouëre raconte la suite des événements : « Le mardi 12 mars, jour du tirage, la garde nationale, les gendarmes entouraient le procureur-syndic et les autorités de Saint-Florent qui se trouvaient sur la place des Moines-de-l’Abbaye, en même temps qu’une grande quantité de paysans des paroisses voisines. Ils se révoltèrent, Barbot et ses dix camarades furent délivrés de leur prison, pendant que les autorités et la garde nationale fuyaient en toute hâte pour se réfugier dans l’île en face de Saint- Florent. »
Ainsi commença la guerre de Vendée, une des plus douloureuses guerres civiles qu’a connues la France. Dans un album magnifiquement illustré (la Grande Histoire des guerres de Vendée, Perrin), Patrick Buisson, le directeur de la chaîne Histoire, a rassemblé avec beaucoup de discernement les témoignages de ceux qui, comme Mme de La Bouëre, ont tenu, dans chaque camp, à raconter ces mois tragiques. L’ensemble dessine le plus vivant des récits, qui permet d’appréhender au plus près les raisons de l’embrasement de l’Ouest français.
Depuis plusieurs mois déjà, le bocage bruit d’indignation. Le remplacement décidé par la Convention des prêtres de toujours par des prêtres “jureurs”, des “fonctionnaires” qui ont juré fidélité à la Constitution civile du clergé et, surtout, sont élus par les citoyens, heurte les consciences. Avec l’appui des paysans, les prêtres réfractaires poursuivent leur sacerdoce dans la clandestinité (et l’illégalité) dans les granges et les bois. Dans les paroisses où va éclater l’insurrection, 80 à 100 % des prêtres ont refusé de prêter serment. Par leur défiance, ils posent les jalons de la résistance.
Au même moment, le pouvoir accroît la pression. Les réfractaires sont arrêtés, les sanctuaires profanés, les cloches doivent être descendues. Les incidents se multiplient dans les campagnes et tournent parfois, comme à l’été 1792, à l’émeute, durement réprimée. La décapitation de Louis XVI, le 21 janvier 1793, marque une nouvelle étape sur la voie du soulèvement. Ils ont osé tuer « l’oint du Seigneur » ! Jusqu’où iront-ils ?
La levée en masse sert d’étincelle ; la révolte éclate. Le messianisme révolutionnaire de la rue parisienne suscite incompréhension et hostilité. D’autant que fonctionnaires et enfants de la bourgeoisie, acquis au nouveau régime, échappent aux sergents recruteurs, les premiers parce qu’ils sont au service de la République, les seconds parce qu’ils peuvent se faire remplacer en payant. Ce sont donc les paysans qui doivent fournir l’essentiel de la troupe.
À Thouaré, les conscrits s’insurgent : « Que ceux qui ont commencé la guerre la fassent. Ils ont tué notre roi ; ils ont chassé nos prêtres ; ils ont vendu les biens d’Église : où est l’argent ? Ils ont tout mangé. Ils veulent à présent nos corps, mais ils ne les auront pas. » Les scènes de Saint-Florent se reproduisent dans d’autres villages. Le 13 mars, le colporteur Jacques Cathelineau est en train de boulanger lorsqu’il prend connaissance des événements. Catholique fervent, il n’hésite pas. Malgré les objurgations de son épouse, il réunit des voisins : « Si nous en restons là, notre pays va être écrasé par la République. » La petite troupe marche sur le bourg de Jallais, désarme la garnison et abat le drapeau tricolore.
L’insurrection s’est trouvé un chef. On sait peu sur l’homme. Le portrait commandé, en 1816, par Louis XVIII au peintre Girodet, où il est campé en héros préromantique, aux grands yeux bleus et à la longue chevelure blonde, est sans doute idéalisé. Ses contemporains ont insisté sur sa physionomie « douce quoique extrêmement vive et spirituelle », aujourd’hui on dirait son charisme. Déterminé, il inspire confiance.
Après avoir trouvé des armes à Jallais, Cathelineau et ses hommes marchent sur Chemillé, chef-lieu de canton, où ils mettent en déroute les forces républicaines. Désormais pourvus de pièces d’artillerie, les insurgés s’emparent de Cholet. Pâques entraîne la dispersion de la petite armée qui a fait du Sacré-Coeur son emblème : chacun rentre chez soi pour faire ses dévotions. La trêve pascale achevée, les combats reprennent. Nouvelles victoires, nouveaux ralliements. Le 26 avril, lorsque Cathelineau ordonne une revue générale à Cholet, son petit groupe s’est transformé en une armée de 22 000 fantassins, dont 13 000 armés d’un fusil, et de 750 cavaliers. Elle fait forte impression sur le jeune marquis de La Rochejaquelein qui rejoint, le lendemain, avec ses 5 000 hommes.
Argenton-le-Château tombe, suivi de Thouars, « la clé du Poitou », puis Machecoul, Parthenay, Fontenay… Cathelineau occupe Saumur. Le 12 juin, dans cette place forte sur la Loire, il est nommé général en chef des armées réunies d’Anjou et du Bocage par les chefs vendéens.
À Saumur, on confère. Faut-il prendre la route de Paris ou libérer l’Ouest ? C’est la deuxième option qui est retenue. Un fin expert militaire la jugera, a posteriori, fatale à leur cause : « Si, profitant de leurs étonnants succès, Charette et Cathelineau eussent réuni toutes leurs forces pour marcher sur la capitale après l’affaire de Machecoul, c’en était fait de la République. Rien n’eût arrêté la marche triomphale des armées royales ; le drapeau blanc eût flotté sur les tours de Notre-Dame avant qu’il eût été possible aux armées du Rhin d’accourir au secours de leur gouvernement. »
Le nom de cet expert ? Napoléon Bonaparte.
Angers tombe à son tour sans grande résistance. La route de Nantes est ouverte et avec son éventuelle prise l’espoir d’ouvrir un port aux renforts venus du Royaume-Uni. Le 29 juin, l’assaut est lancé contre la capitale des ducs de Bretagne. Soudain, au moment où la défense républicaine menace de rompre, Cathelineau, qui mène l’assaut, s’effondre, blessé d’une balle à l’épaule.
Ses hommes refluent dans le tumulte. Nantes ne tombe pas. Conduit à Saint-Florent, le chef, victime d’une fièvre infectieuse, rend l’âme, ironie de l’Histoire, le 14 juillet. Il avait 34 ans. La grande armée royale a vécu son heure de gloire. La contre-offensive républicaine est en marche et avec elle, bientôt, l’écrasement de la Vendée dans le sang.