EN COUVERTURE. Le 19 juillet, il démissionne. Le 8 novembre, il publie Servir. Dans Valeurs actuelles, le général de Villiers exhorte aujourd’hui les Français à retrouver la fierté nationale.
Le succès de Pierre de Villiers ne s’appelle pas Macron mais courage. La rupture du 19 juillet (sa démission de son poste de chef d’état-major des armées) a été un déclencheur, mais les formidables ventes du livre ne s’expliquent que par son contenu : servir d’école de la vertu. Valéry Giscard d’Estaing l’a rappelé à l’Académie française : l’étymologie de virtus, c’est à la fois le courage et la force armée. Le général de Villiers incarne les deux.
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Vous sillonnez la France depuis deux mois pour aller à la rencontre de vos lecteurs. Qui sont-ils ?
Toute la France dans sa diversité est représentée, en classes d’âge, en milieux sociaux. Mes lecteurs ont entre 14 et 90 ans. Des civils, des jeunes, ce qui me réjouit, qui connaissent peu ou mal l’armée, et des anciens combattants d’Indochine, des militaires d’active, des réservistes, des mères ou des épouses de militaires qui veulent offrir ce livre à leur enfant ou à leur mari.
Certains l’ayant déjà lu m’en font dédicacer quatre ou cinq exemplaires pour les offrir. Je vois aussi nombre de gens qui habituellement ne fréquentent pas les librairies. Les libraires qui m’accueillent me le disent, l’affluence est exceptionnelle, au minimum 300 personnes à chaque rencontre, et l’atmosphère inhabituelle. Beaucoup m’expriment leur reconnaissance.
Aujourd’hui, notre modèle est en surchauffe, exploité à l’extrême de ses possibilités, fatigué. Avec 30 000 soldats, marins et aviateurs en posture opérationnelle 24 heures sur 24, nous sommes de facto à 30 % au-dessus de nos capacités réelles.
Les choix qui vont être faits dans les semaines, mois et années qui viennent seront cruciaux. Je pense que notre modèle d’armée est bon et capable de faire face à l’augmentation croissante de la menace. À la condition de le régénérer immédiatement à court terme, et ensuite de le moderniser entre 2019 et 2025. Il faut des équipements nouveaux, avions, blindés, bateaux, il faut s’occuper des “grains de sable”, qui pourraient gravement altérer l’efficacité de nos armées, c’est-à-dire les systèmes d’information, le renseignement, la cyberdéfense, l’espace, les munitions, les pièces de rechange, la santé, le soutien des femmes et des hommes au quotidien.
Quand on étudie les défaites françaises, on réalise qu’elles viennent souvent de ce grain de sable. Pour protéger la France et les Français, il fallait une augmentation substantielle de notre budget à hauteur de 2 milliards d’euros par an dès 2018, et il fallait préserver 2017. Voilà où était ma divergence d’analyse sur le fond avec le président de la République.
Aujourd’hui, le compte n’y est toujours pas ?
Je ne regrette en rien ma démission. J’avais un désaccord que j’ai assumé. Je n’aurais pas pu continuer à regarder les soldats les yeux dans les yeux en sachant qu’on ne leur donnait pas tous les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions. J’espère que ma décision sera fructueuse et je constate d’ailleurs qu’un certain nombre de mesures ont été prises depuis, plutôt favorables, notamment le plan d’amélioration des conditions de vie des familles de militaires.
Les Français sont-ils protégés aujourd’hui ? Oui, ils le sont, mais pour qu’ils continuent à l’être, et puisque la menace augmente, il faut augmenter le budget, c’est le prix à payer. On ne gagne pas une guerre sans effort de guerre. Il est impératif d’avoir une paix d’avance.
Vous citez Boumédiène : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord, à la recherche de leur propre survie. » Nous y sommes. Comment faire ?
Il faut privilégier une approche stratégique. L’histoire s’écrit sous nos yeux et la guerre est en train de changer de visage. Nous faisons face à deux lignes de conflictualité : le retour des États-puissances et l’islam radical. Cela conduit à une instabilité mondiale et à des migrations incontrôlées.
Nous voyons bien que tout est lié. Beaucoup de ceux qui migrent le font à cause de la pauvreté ou de l’insécurité dans leur pays d’origine. La solution, face à ce phénomène migratoire, est de vaincre la pauvreté et d’apporter la sécurité. Faire du développement, pour que les populations soient heureuses sur place, et faire disparaître la violence par la force, par l’action militaire.
Lorsque l’armée intervient, se produit un phénomène de bascule. La population a confiance dans l’action de sécurisation, elle voit les écoles rouvrir, les puits, l’eau, l’électricité revenir, et ceux qui veulent perturber cette paix n’y parviennent pas. Il n’y a pas de sécurité sans développement et pas de développement sans sécurité. Les deux efforts doivent être simultanés dans l’espace et dans le temps. C’est cela, gagner la paix.
Comprenez-vous la crainte des Français au sujet de la progression de l’islam sur le territoire ?
Les Français ont du bon sens. Si, dans leurs préoccupations, en premier lieu, on trouve le chômage et la protection au même niveau, c’est qu’il existe un vrai sujet d’insécurité, de menace.
Analysons-le de manière très dépassionnée, sans idéologie, sans raccourcis, qui nuisent à la vérité. Mais aussi sans myopie collective. On ne peut pas nier que les terroristes sont des islamistes radicaux. Cet islam radical est une idéologie mondiale qui gagne jusqu’à l’Amérique du Sud, mais certains pays sont plus visés que les autres. La France notamment. Le grand danger de la situation actuelle, c’est l’amalgame, qui serait terrible. Le terrorisme entraîne la suspicion, extrêmement dangereuse pour l’unité nationale. Son but : nous diviser, et convaincre les masses des pays pauvres de rejoindre l’islam radical.
La cohésion nationale est fondamentale face à cette vague d’attentats de l’islamisme radical. J’y suis très sensible : mon livre de chevet pendant toute ma vie militaire a été le Rôle social de l’officier de Lyautey. Son actualité est saisissante.
Lorsque vous étiez chef d’état-major des armées, vous étiez l’un des mieux informés sur l’état de la menace islamiste en France. Vous parlez d’un ennemi qu’on combat sur notre sol…
L’ennemi islamiste est caché dans la population. Pas uniquement dans la population française : sur l’ensemble des cinq continents. C’est une nébuleuse. En France, les trois lieux privilégiés de radicalisation sont la prison, les mosquées radicales et les réseaux sociaux.
Cette guerre, qu’il faudra gagner, va être longue. Elle se jouera notamment sur le terrain du renseignement. Nos services ont déjà déjoué de nombreux attentats. L’objectif, c’est que le Bataclan ne se reproduise pas, qu’on arrive à neutraliser les assaillants sur le sol national, dans l’espace aérien, en mer le long de nos côtes, dans le cyberespace, avant qu’ils ne frappent. Et ce n’est pas parce que nous avons presque vaincu Dae’ch au Levant que nous avons détruit l’idéologie de l’islam radical.
Nous avons gagné une bataille, mais pas la guerre. Il y a quasiment chaque jour entre trois et cinq attaques en moyenne dans le monde entier, provoquant des dizaines de morts ou de blessés. Toujours avec les mêmes procédés et la même idéologie. Quand vous lisez, chaque matin, le bilan des dernières vingt-quatre heures, vous vous rendez compte que l’on est très loin d’avoir éradiqué l’islam radical.
L’anticipation, la capacité de déceler le passage à l’acte suffiront-elles ?
Revenons à la stratégie et quittons l’approche tactique à court terme, qui, trop souvent, monopolise la réflexion. La question fondamentale, c’est “comment empêche-t-on un jeune de basculer dans l’islamisme radical ? ”
C’est un problème politique pour lequel je n’ai pas de compétence, car je ne suis pas un homme politique. Je peux simplement apporter un témoignage sur ce qui fonctionne dans l’armée et ce qui ne fonctionne pas, sans bien sûr donner aucune leçon à quiconque, et en toute modestie, compte tenu de la complexité du sujet.
Dans l’armée, nous savons parler à la jeunesse, y compris celle qui a des difficultés. Il faut lui offrir de la discipline et pas de la mollesse, de l’égalité et pas de la discrimination positive, du sens et pas simplement de la rationalité matérielle, de la fraternité et pas de la solitude, des perspectives et pas du court terme.
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Vous égrenez, dans votre dernier chapitre consacré à la jeunesse, vos valeurs cardinales. Quelle est la plus importante ?
La sincérité. Parce que la jeunesse a besoin de vérité. Ce dont elle a besoin, aujourd’hui, c’est de quitter cette société de communication (au sens péjoratif du terme), du paraître, de la comédie humaine, du calcul, dans laquelle elle a l’impression d’avoir affaire à une sorte de théâtre d’ombres.
Les jeunes, qui sont immergés dans notre société du virtuel sur les réseaux sociaux, ont besoin de renouer avec le réel, avec des limites clairement affichées. D’un côté, la punition ; de l’autre, la récompense. Avec pour règle intangible, le maintien de l’ascension sociale. Dans l’armée, vous pouvez commencer deuxième classe et terminer général. On parle souvent des valeurs de la République. Elles existent ! Les militaires savent ce qu’est la Liberté, car ils se battent pour elle, et ils voient les conséquences dans des pays qui ne la connaissent pas. Et la véritable Égalité y est promue, grâce à l’uniforme. Quant à la Fraternité, elle est notre carburant.
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Propos recueillis par
Nos encadrés sont des extraits des “Lettres à un jeune engagé”, publiées par le général de Villiers lorsqu’il était chef d’état-major des armées.