CHRONIQUE – En dénonçant la loi interdisant de parler de «camps de la mort polonais», les critiques français reprochent aux Polonais ce que nous avons fait : imposer une histoire officielle, une histoire d’État.
Les Polonais ne font décidément rien comme les autres. Ils forment des plombiers compétents ; ils ferment leurs frontières aux vagues migratoires venues des pays musulmans ; ils ne donnent pas tous les pouvoirs à leurs juges ; ils ne renient pas leurs racines chrétiennes. Dernière transgression qui scandalise le Landerneau médiatique occidental: le vote d’une loi qui interdit aux historiens de parler de «camps de la mort polonais» à propos des camps d’extermination érigés par les Allemands sur le territoire polonais.
Pourtant, personne, parmi les contempteurs de cette loi, ni en Israël ni aux Etats-Unis ni en Europe, ne prétend que les camps d’Auschwitz-Birkenau n’ont pas été décidés et dirigés par les nazis. Personne n’incrimine même un gouvernement polonais de complicité puisque le pays était alors dirigé par un gauleiter allemand. Mais on craint seulement que, faisant une lecture extensive de cette législation, les autorités polonaises censurent toute révélation sur les exactions commises par une partie de la population polonaise, qui a parfois profité de l’aubaine pour se venger des Juifs haïs.
On oppose la liberté des historiens au corset d’une histoire officielle, d’une histoire d’Etat.
Ces critiques seraient légitimes si elles ne venaient pas de Français qui ont fait voter une loi Gayssot interdisant à quiconque de remettre en cause le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ; et qui, dans la foulée, ont adopté une loi Taubira établissant la traite occidentale (et uniquement celle-ci) comme un «crime contre l’humanité». On se souvient des mésaventures de cet historien, Olivier Pétré-Grenouilleau, qui fut cloué au pilori parce qu’il avait osé affirmer que les traites négrières ne pouvaient pas être un génocide puisque l’esclave avait une valeur marchande.
Nous reprochons donc aux Polonais ce que nous avons fait: imposer une histoire officielle, une histoire d’Etat. Traîner devant les tribunaux tous ceux qui la contesteraient. Nos lois mémorielles sont le pendant de la loi polonaise que nous condamnons.
Il est vrai que les intentions sont à l’opposé: les lois mémorielles françaises ont été adoptées dans un contexte politique et idéologique de repentance. Après le discours du président Chirac sur la rafle du Vél’ d’Hiv, et les compléments apportés par ses successeurs, Hollande et Macron, la France prend volontairement une part de la culpabilité des crimes allemands en accusant l’Etat français, et donc la France, d’avoir été le complice de la machine génocidaire allemande.
La Pologne fait l’inverse: elle ne veut plus être associée à l’opprobre jeté sur les nazis. Nous élaborons des lois mémorielles pour nous flageller ; les Polonais font la même chose, mais pour se glorifier.
La liberté des historiens et de l’Histoire n’est en réalité qu’un prétexte, qu’un rideau de fumée: ce que nous reprochons aux Polonais n’est pas d’élaborer une histoire officielle, mais de refuser de se flageller.