La tentation est grande, dans les médias qui roulent pour le pouvoir maastrichtien et qui, de ce fait, cherchent à discréditer les gilets-jaunes, de vider consciencieusement toutes les poubelles afin d’y trouver matière à leurs opérations de basse police.
Si d’aventure on trouvait sur l’ordinateur de l’un d’entre eux les traces d’un fichier pédopornographique, ce qui est bien sûr condamnable, nul doute que toute cette presse ferait ses choux gras d’une telle information et conclurait que tous les gilets-jaunes sont pédophiles! Dans la foulée, ces plumes serviles concluraient à l’illégitimité de leurs demandes!
C’est ce que j’appelle une joffrinade: un seul gilet-jaune pédophile et tous le deviendraient; dès lors, le fait que les gilets-jaunes demandent de quoi vivre dignement se trouverait vite assimilé à une revendication de pédophile -une cause d’ailleurs longtemps défendue par Libération, Le Monde ou Le Nouvel Observateur [1]…
C’est ainsi qu’on pense dans les journaux où l’on ne pense pas. Cette engeance a déjà trouvé dans les poubelles de cette Histoire en cours un raciste, tous les gilets-jaunes étaient donc racistes, un homophobe, ils étaient donc tous homophobes, un partisan d’un général à Matignon, ils étaient donc tous fascinés par la dictature, un qui voulait aller porter ses revendications à l’Élysée, ils étaient donc tous putschistes.
Ceux qui sont prompts à dénoncer l’amalgame dans le camp d’en face sont des professionnels de ce procédé dans leur propre camp.
Ainsi, les charognards ont sorti des tas d’ordures du net des propos complotistes! La belle affaire! (…)
Croire que l’attentat allait être instrumentalisé par le pouvoir était légitime puisque, dans la foulée, à la matinale du 13 décembre, sur France-Inter, le président de l’Assemblée nationale a clairement dit: « Il faut que le mouvement s’arrête. »
Macron a fait des propositions, l’économie souffre, le terrorisme menace: on fait un paquet de tout cela et Richard Ferrand siffle la fin de la récréation, il invite purement et simplement à la fin du mouvement des gilets-jaunes!
Tout aura vraiment été instrumentalisé par le pouvoir pour éteindre cet incendie social et, s’il y a de l’indécence, de l’obscénité, de l’impudeur, elle consiste à inviter à la fin du mouvement sous prétexte de danger terroriste.
Car, si la concentration de personnes était véritablement en cause, alors il faudrait interdire l’ouverture des hypers et de supermarchés pendant tout ce mois de Noël qui est celui de la grande fête consumériste car, un carnage dans l’un de ces temples de la consommation ferait probablement plus de victimes que sur un rond-point du Cantal…
(…)
Mais dire qu’il existe une lutte des classes, des dominants et des dominés, un pouvoir secret et discret des décideurs à des niveaux nationaux et internationaux avec des médias sans micros ni caméras ni stylos, qu’il existe des diplomaties secrètes et des compromis politiques passés hors cadres démocratiques, qu’il existe une activité fiévreuse des services secrets avec leurs agents, des polices du renseignement et de l’infiltration avec leurs fonctionnaires, des cellules confidentielles pour lancer des rumeurs, c’est l’évidence. Il faut n’avoir jamais lu Machiavel ou lu Le Canard enchaîné pour croire et affirmer le contraire.
Que le petit peuple des gilets-jaunes ignore les détails de ces machines de pouvoir, c’est une chose; mais qu’il en suppose l’existence par les effets induits qui sont ceux de la propagande d’État diffusée complaisamment par les médias d’État, il n’y a là rien que de très normal.
La maladie complotiste a été inoculée par les médias menteurs. Nietzsche écrivait: « Ce qui me gêne ça n’est pas que tu m’aies menti, c’est que désormais je ne pourrais plus te croire ». Un complotiste ne croit plus les menteurs qui prétendent l’informer et qui, sous prétexte de séparer l’info de l’intox, intoxiquent avec leurs infos: il a raison; mais il se tourne vers n’importe qui pour trouver de véritables informations et du sens là même où se trouvent d’autres menteurs du même acabit: il a tort.
Réfléchir et penser par soi-même suffit: les faits parlent d’eux-mêmes et la meilleure hygiène suppose qu’on passe outre le commentaire du journaliste qui est l’ivraie afin de faire la part du bon grain des faits.
Il y a eu un attentat islamiste à Strasbourg, ce sont les faits et ils sont terribles, condamnables, ils invitent à la décence pour les familles et leurs proches; mais cette décence oblige à éviter la récupération, en premier lieu, celle du pouvoir qui estime que la sécurité nationale ayant été ébranlée par l’événement alsacien, les gilets-jaunes doivent de ce fait rentrer chez eux.
Car la maladresse d’un gilet-jaune complotiste qui s’essaie à penser par lui-même dans la jungle cynique de l’information où l’idéologie fait la loi me parait plus compréhensible que le cynisme du pouvoir qui connait le poids des mots et en fait une arme de domination massive sur les dominés.
Michel Onfray