Ça magouille sec chez les « porte-parole » des Gilets jaunes. Certains ont vite appris le métier et prépareraient une liste pour les élections européennes ? Verra—t-on Jacline Mouraud à Bruxelles ?
Que devient Jacline Mouraud ? On l’a connue révolutionnaire. Apostrophant le président de la République : « Mais Qu’est-ce que vous faites du pognon ? A part changer la vaisselle de l’Élysée ou faire construire des piscines», (Challenges, 8 novembre 2018).
Très enflammée, elle lance avant la première grande manifestation des Gilets jaunes le 17 novembre : « Oui, bloquons le pays ». Son leitmotiv : « Quand va se terminer la traque aux conducteurs ? » En deux semaines, elle totalise 5,5 millions de vues pour sa vidéo publiée sur Twitter. Voilà l’accordéoniste hypno-thérapeute de 51 ans devenue une vedette médiatique (radios, télés, journaux). A Bohal (près de Ploërmel), on n’en revient pas.
Dans une seconde phase, elle devient « raisonnable » mais toujours déterminée : « La mobilisation continue. Tout va dépendre de ce que va dire le président de la République mardi. Nous n’arrêterons pas le mouvement tant que nous n’aurons pas obtenu satisfaction. Il y a des gens en très grande souffrance qui attendent des gestes concrets tout de suite, notamment dans la baisse de la fiscalité. Je déplore bien entendu toutes les violences que nous avons vues samedi à Paris.
Elles ne doivent pas masquer l’essentiel de notre démarche qui est pacifique. » (Le Figaro, lundi 26 novembre 2018). « Emmanuel Macron vient de signer la suite du mouvement. Il va se durcir, bien entendu […] Il nous entend de loin. On a l’impression que l’écho n’arrive pas jusqu’à lui. Le résultat c’est que le mouvement va se durcir, c’est obligatoire », poursuit-elle (C News, mardi 27 novembre 2018).
Mais rapidement, un discours politicien prend le dessus. Dans un appel signé avec neuf autres « porte-parole des Gilets jaunes libres » qui se présentent comme des « citoyens engagés et libres », elle réclame le « respect des institutions de la Ve République, de l’ordre public, des biens et des personnes ».
Quant aux revendications, elles portent sur la fiscalité, des « assises territoires et mobilité », l’organisation de référendums sur les grandes orientations sociales et sociétales, l’adoption du scrutin proportionnel pour les élections législatives (Journal du dimanche, 2 décembre 2018). Tout cela sent la normalisation.
Troisième étape : Jacline Mouraud s’inquiète de la radicalisation du mouvement. Car « il attire des modérés, dont je fais partie, mais aussi des extrémistes et des anarchistes ». En effet, « avec le gouvernement qui a laissé pourrir la situation, des modérés ont fini par se tourner vers des Gilets jaunes plus déterminés et vers des groupes qui veulent le chaos en France ».
Mais les Gilets jaunes auront eu leur utilité : « Ce mouvement, qui est né de la détresse des gens, a libéré leur parole. Jusqu’alors, tout le monde s’épuisait à cacher son manque d’argent. Depuis, ce n’est plus une honte de dire que l’on ne parvient pas à boucler ses fins de mois. Ce mouvement a permis de révéler ce que vivent des millions de Français. »
Pourtant il faut tenir compte d’une réalité : « Ce mouvement échappe aujourd’hui aux Gilets jaunes eux-mêmes. Il y a des gens qui ne veulent plus rien entendre. On augmenterait leur smic, ils seraient encore en colère. On ne peut plus les arrêter. » (Le Figaro, vendredi 7 décembre 2018)
Donc « Jacline » ne sait plus à quel saint se vouer pour organiser une sortie de crise. Certains de ses camarades des « Gilets jaunes libres » en ont trouvé une. C’est le cas de Christophe Chalençon, porte-parole de la Provence, qui fait « partie des Gilets jaunes qui travaillent en coulisse à la constitution d’une liste aux européennes. ».
Sans attendre, la LREM a commandé une enquête à l’institut Ipsos sur le score possible d’une liste des Gilets jaunes aux élections européennes. Le résultat va au-delà des espérances des macronistes. Une liste En marche ! MoDem recueillerait 21% , le Rassemblement national 14%, EELV 13%, les Gilets jaunes 12%, les Républicains 11% et les Insoumis 9%. Conclusion : la présence d’une liste des Gilets jaunes pourrait siphonner les voix de Le Pen et de Mélenchon. Déjà, deux listes « jaunes » seraient en cours de constitution (Le Canard enchaîné, 12 décembre 2018).
Pour le financement de la campagne, Chalençon et compagnie n’auront pas de soucis à se faire. Grâce aux fonds « spéciaux », l’Élysée et Matignon y pourvoiront. Lorsqu’il était président de la République, Jacques Chirac avait monté une opération semblable avec « Chasse-pêche-nature-tradition ».
Aux élections régionales de mars 1998, la CNPT avait décroché un élu dans les Côtes-d’Armor et deux en Loire-Atlantique. Au conseil régional de Bretagne, Josselin de Rohan avait même eu besoin de l’élu CPNT – un certain Gabriel Lopez , directeur de la fédération de chasse des Côtes-d’Armor – pour se constituer une majorité et devenir, de ce fait, président. Lopez fut récompensé de sa compréhension : il fut élu vice-président chargé de l’environnement, bien que ne représentant que lui-même.
La technique utilisée par le pouvoir en 1998 pour affaiblir le Front national pourrait très bien réapparaître en 2019. L’objectif étant cette fois d’empêcher le RN-FN de terminer en tête… et de sortir gagnant de ces élections européennes. Selon le dernier sondage Ipsos publié par L’Opinion , c’est la liste du RN qui arriverait en tête avec 24% contre 18% pour la liste macroniste. De quoi faire réfléchir.
C’est peut-être de ce côté-là qu’il faut chercher la raison de l’actuelle « modération » de Jacline Mouraud. Bien placée sur une liste Gilets jaunes, elle pourrait être élue député européen… Quelle fierté pour Bohal !
Bernard Morvan
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