L'arrêt de la CEDH rendu le 19 décembre en Grèce à l'égard d'une veuve grecque, Molla Sali, pourrait entraîner le recours à la charia en marge du droit commun, estime Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), membre du panel d'experts de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur la liberté de conscience et de religion.
L'histoire commence alors que Mme Salo perd l'essentiel de l'héritage de son mari défunt à cause de l'application de la charia à sa succession en dépit du fait que son époux avait décidé de lui laisser tous ses biens en application du droit commun. La justice grecque a toutefois annulé ce testament expliquant que le couple musulman devait suivre les règles de la charia.
«Il s'agissait donc, pour la Cour européenne, de juger si la "loi musulmane sacrée" peut être appliquée de force à des ressortissants grecs au motif, en particulier, de la "protection des minorités" et du respect des engagements internationaux de la Grèce. Sans surprise, la Cour européenne a condamné cette application forcée de la charia… mais pas la charia en elle-même. La Grèce avait anticipé cette décision en rendant optionnel le recours à la charia et à la juridiction des muftis, par une loi du 15 janvier 2018», écrit dans sa tribune Grégor Puppinck.
L'expert poursuit ensuite que la CEDH a «profité de cette affaire» pour imposer ses conditions à l'application de la charia en Europe, ce qui a été ignoré par les médias.
D'abord, selon M.Puppinck, l'instance estime qu'un État n'est pas obligé, mais peut s'il le souhaite, «créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial impliquant des privilèges particuliers».
«En d'autres termes, un État européen peut accorder à sa communauté musulmane la liberté d'être régie par des normes de la charia, sans que cela soit, en soi, contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme. Deux conditions sont posées quant à un tel statut spécial: le respect de la volonté des intéressés et celui, elliptique, des "intérêts publics importants"».
«La Cour ajoute que le respect par l'État de "l'identité minoritaire d'un groupe spécifique" ne doit pas porter préjudice au "droit des membres de ce groupe de choisir de ne pas appartenir à ce groupe" ou "de ne pas suivre les pratiques et les règles de celui-ci". En un mot, l'État doit respecter les minorités tout en évitant de contribuer à y enfermer leurs membres. Ainsi, lorsque l'État accepte l'application de la charia sur son territoire, celle-ci doit être optionnelle», résume-t-il.
En outre, comme le précise Grégor Puppinck, ce document met les autorités publiques «dans la situation défensive de devoir se justifier de refuser aux musulmans revendicatifs la "jouissance"» de certaines normes de la charia, dès lors qu'elles en appliquent d'autres.
«De fait, c'est non seulement la Grèce et le Royaume-Uni qui acceptent déjà la charia en certaines matières, mais aussi tous les pays qui reconnaissent une valeur aux normes alimentaires "halal".
Dès lors, on ne voit pas pourquoi refuser l'application d'autres normes, en matière de finance par exemple. La charia est un système juridique qui couvre tous les aspects de la vie», indique le docteur en droit.
Il appelle à faire attention à un autre point important. Selon Grégor Puppinck, cet arrêt permettra aux partis politiques, «qui en veulent l'application, de prétendre agir "dans le respect des droits de l'Homme"».