Est-ce que vous n’exagérez pas en soutenant que la France de 2019 ressemble à la société de 1984 d’Orwell ?
Non, pas du tout… Et je crois même qu’en douter prouve d’ailleurs bien que nous y sommes !
La dictature a un long passé. Elle tient son nom de Rome où l’on donnait à un homme les pleins pouvoirs afin de résoudre un problème, pleins pouvoirs qu’il rendait d’ailleurs sans coup férir une fois la mission accomplie. La dictature a quitté l’orbe occidental avec l’empereur de Mongolie Gengis Khan au XIIe-XIIIe siècle ou avec Tamerlan, l’émir de Transoxiane au siècle suivant. Elle revient en Europe avec Savonarole au XVe siècle, puis avec Cromwell, Calvin, Robespierre et son Comité de salut public, etc.
Or, la plupart du temps, on pense la dictature en regard des fascismes bruns ou rouge de Hitler, Lénine, Staline, Mao, Pol-Pot. Notre incapacité à envisager la chose à partir des longues durées nous contraint désormais à ne plus savoir penser la question de la dictature en dehors de notre passé le plus récent. Or, Hitler et Staline ne sont pas la mesure éternelle et hors histoire la dictature.
Pourquoi vous êtes-vous appuyé sur l’œuvre d’Orwell pour théoriser la dictature ?
Je pose l’hypothèse qu’Orwell est un penseur politique à l’égal de Machiavel ou de La Boétie et que 1984 permet de penser les modalités d’une dictature postnazie ou poststalinienne, et ce dans des formes dont j’examine l’existence dans notre époque.
Quand il m’a fallu synthétiser mon travail, j’ai proposé le schéma d’une dictature d’un type nouveau. Elle suppose un certain nombre d’objectifs : détruire la liberté ; appauvrir la langue ; abolir la vérité ; supprimer l’histoire ; nier la nature ; propager la haine ; aspirer à l’Empire.