Reculer pour mieux sauter? Alors que l’Assemblée nationale devait ratifier le 17 juillet le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le vote a finalement été repoussé au 23 juillet et il sera public. Même s’il est déjà partiellement entré en vigueur depuis 2017, l’opposition à ce traité reste vive.
Mercredi 17 au matin, la Coordination rurale était rassemblée devant l’Assemblée nationale afin de protester contre cette ratification, des ONG et des agriculteurs-éleveurs n’ont pas de mots assez durs contre l’accord de libre-échange et l’opposition parlementaire s’est émue que la ratification du CETA ne fasse pas l’objet d’un vote solennel.
Mardi, Sputnik interrogeait Danièle Favari, juriste de l’environnement et du droit européen de l’environnement. Hier, nous évoquions l'opposition québécoise à ce traité avec Simon-Pierre Savard-Tremblay. Aujourd’hui, nous avons évoqué ce traité avec Thierry Pouch, économiste spécialiste de l’agriculture, chef du service des études économiques de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture à Paris. Il a notamment publié «Agriculture et mondialisation, un atout géopolitique pour la France», avec Sébastien Abis. Il s’alarme des préjudices que subira l’agriculture française. Les contreparties en valent-elle la chandelle?
Sputnik France: Quels sont les enjeux de ce traité pour le secteur agricole?
Thierry Pouch: «Les enjeux sont importants, puisque l’Union européenne a négocié et signé cet accord. Elle a accordé un certain nombre de contingents à droits de douane nuls ou réduits.
Sur la viande bovine, ce sont 67.900 tonnes, sur la viande porcine, 80.000 tonnes et puis un peu sur le blé dur et le maïs. En contrepartie, l’Union européenne a quand même obtenu un contingent de 15.000 tonnes de produits laitiers, en particulier du fromage, avec à la clé des reconnaissances des indications géographiques. Mais on voit bien que les contingents sont disproportionnés dans un sens et dans l’autre. Donc la pénétration du marché européen pendant cinq ans risque d’être préjudiciable pour un certain nombre d’éleveurs en viande bovine et en viande porcine.
Il y a un deuxième point qui n’avait pas été vraiment mentionné dans le texte de l’accord, c’est sur les conditions de production, côté canadien. Puisqu’on sait qu’ils utilisent des substances, des produits strictement interdits en Europe depuis déjà pas mal d’années, comme l’atrazine pour la production du blé dur. Tout cela représente une menace assez conséquente, les consommateurs également s’en inquiètent puisqu’on sait qu’aujourd’hui en France, il y a une pression très forte pour avoir des produits fabriqués dans des conditions sanitaires fiables et en particulier pour la viande.
On sait qu’au Canada comme aux États-Unis, la notion de bien-être animal n’existe pas, alors qu’en Europe, elle est strictement réglementée et imposée. Donc, que ce soit du côté des producteurs ou des consommateurs, on a là une menace assez importante par rapport à la signature du CETA et à sa ratification.[…]
Sputnik France: Que pensez-vous de la déclaration de Marie Lebec, député LREM, qui estimait à l’Assemblée nationale que «les produits qui sont interdits au sein de l’UE ne peuvent pas pénétrer le marché européen», notamment les farines animales ou le bœuf aux hormones?
Thierry Pouch: «De toute façon, le contingent en viande bovine qui été accordé de 67.900 tonnes au Canada est un contingent de viande bovine sans hormones. La difficulté, c’est qu’au Canada, ils n’ont pas de viande bovine sans hormones. Donc, il va falloir qu’ils créent une filière sans hormones et ils auront manifestement atteint leur contingent d’ici cinq ou six ans, l’objectif étant d’assurer l’application de l’accord dans un premier temps. Là, il n’y a pas de difficulté.
La viande aux hormones ne rentrera pas, parce que l’accord mentionne bien qu’il s’agit bien d’un contingent sans hormones. Il ne s’agit pas de viande bovine en entier, ce n’est pas de grandes pièces de viandes congelées qui vont traverser l’Atlantique, c’est aussi tous les morceaux nobles à haute valeur ajoutée comme notamment l’aloyau, très recherchés par la restauration collective. Donc ça risque aussi d’être préjudiciable pour les viandes européennes et les viandes françaises en particulier.»
Sputnik France: Pensez-vous qu’il faille protéger les agriculteurs et éleveurs français?
Thierry Pouch: «C’est un vaste débat. Si on prend l’exemple du Mercosur qui a été signé, il y a quelques jours, au début de la négociation, qui avait repris au bout de vingt ans, il y a eu des arrêts. Il était question d’exclure la viande bovine de la négociation. Puis l’Union européenne a finalement cédé et de réunion en réunion, l’Europe a accordé 99.000 tonnes de contingent aux pays du Mercosur.
Est-ce qu’il faut exclure d’une négociation commerciale l’ensemble du secteur agricole, ou faut-il exclure certaines catégories de production qui sont en difficulté ou qui risquent d’être en difficulté avec ces accords? Là, le débat est tranché. Il ne faut pas oublier que pendant les négociations commerciales que traitent l’Europe, les contractants que sont le Canda ou les pays du Mercosur, ou en ce moment l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont des puissances agricoles, entendent bien elles, intégrer le secteur agricole dans les négociations.
C’est quelque chose d’assez compliqué. L’Europe n’est manifestement pas prête à exclure l’agriculture des négociations commerciales, parce qu’il y a des contreparties que l’on peut obtenir. C’est ce que dit l’Europe d’ailleurs, il y a des intérêts offensifs qui sont importants, comme notamment dans les produits laitiers, la reconnaissance des indications géographiques. C’est difficile d’imaginer pour l’UE de mettre de côté l’agriculture dans son ensemble au profit de quelques secteurs en difficulté.»