Nombre de bénéficiaires quadruplé et budget plus que décuplé en dix-sept ans. L'aide médicale de l'État aux étrangers est-elle encore contrôlable ?
Une fois n'est pas coutume, commençons par une devinette… Où peut-on lire : « L'aide médicale de l'État (AME) facilite l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière. Elle ouvre droit à la prise en charge à 100 % des soins avec dispense d'avance de frais. Ses bénéficiaires ne sont pas soumis au dispositif du médecin traitant (parcours de soins coordonnés) » ?
Tout simplement sur le site Internet de la Sécurité sociale, consultable par tous et… de n'importe où dans le monde. Rappelons que l'aide médicale de l'État est un dispositif tout à fait légal qui « s'inscrit dans le cadre de la lutte contre les exclusions » : elle découle de la loi du 27 juillet 1999 (gouvernement Jospin), qui prévoyait la création de la couverture maladie universelle (CMU). Elle a été ensuite modifiée par des décrets et articles.
Il existe aujourd'hui trois types d'aide médicale. L'AME humanitaire donne accès à des soins ponctuels aux personnes de passage en France ; elle leur permet aussi d'accéder à des soins qui ne peuvent leur être donnés dans leur pays d'origine. Il y a l'AME pour soins urgents dont « l'absence mettrait en jeu le pronostic vital » ; ce peut être des soins destinés à éviter la propagation d'une maladie ou prodigués à une femme enceinte (sur 8 172 séjours pris en charge en 2017 au titre de l'AME pour soins urgents, près du tiers relevaient de l'obstétrique) et L’AME de droit commun
L’AME de droit commun représente environ 90 % du budget dédié à l’Aide médicale de l'État. Ce dispositif assure la prise en charge des soins de santé des personnes étrangères en situation irrégulière, qui :
- Résident en France depuis plus de 3 mois de façon ininterrompue
[…]
Va-t-on dépasser le milliard ? Pour 2019, l’aide médicale d’Etat (AME) est budgétée à 934,9 millions d’euros. Mais la facture réelle s’avère toujours gonflée en fin d’année, puisqu’elle dépend du coût des soins (variable) et du nombre de bénéficiaires (en hausse de 4,7% par an). En 2018, l’Etat a déboursé 848 millions d’euros pour 317 000 personnes. La dépense a doublé en dix ans.
Cette aide ne transite pas par la poche des bénéficiaires mais va directement aux hôpitaux, aux médecins et aux pharmaciens après des soins prodigués aux étrangers sans titre de séjour. Ces derniers doivent résider en France depuis trois mois au moins et percevoir peu de ressources (au maximum 734 euros mensuels pour une personne seule). L’aide comprend trois types : l’AME de droit commun (900 millions d’euros) ; l’AME d’urgence pour les soins engageant le pronostic vital, notamment pour les femmes enceintes (40 millions) ; l’AME humanitaire, rare, sur décision ministérielle.
Pourquoi faire entrer l’AME dans le débat sur l’immigration ? Parce que l’on considère, à Bercy par exemple, que le contribuable ne consent plus à un tel niveau de dépense pour les étrangers en situation irrégulière. Ou que l’on juge, comme à Beauvau, que l’AME fait « appel d’air » des migrants vers la France. Ou bien les deux.
« Si des gens viennent spécialement dans le but de se faire soigner avec l’AME, ce n’est pas objectivable », temporise-t-on au ministère de la Santé. Pas plus que les abus ne sont chiffrables. Il existe de fausses déclarations (date d’entrée en France, lieu de résidence, niveau de ressources) : en 2018, un individu a été condamné au pénal pour avoir monnayé des attestations d’hébergement.
Mais la fraude reste difficile à détecter, déplore l’assurance-maladie... « Vérifier le statut des patients n’est pas la priorité des médecins ; eux, ils soignent », rappelle l’entourage d’Agnès Buzyn.
Les étrangers résidant régulièrement en France mais disposant de faibles ressources relèvent, quant à eux, de la protection universelle maladie, comme n’importe quel Français.
Parmi les étrangers « réguliers » éligibles à la CMU-C, on trouve 150 000 demandeurs d’asile et 32 000 migrants « étrangers malades » (un droit au séjour spécial accordé par le préfet, après cinq avis médicaux, quand il n’existe pas de soins équivalents dans le pays d’origine).
Les citoyens des Etats ayant conclu avec Paris des conventions bilatérales de sécurité sociale bénéficient de soins directement remboursés par leur pays. Un mécanisme qui ne creuse pas les finances françaises... sauf quand les Etats partenaires tardent à honorer leurs engagements, comme l’Algérie et les pays du Golfe.
A priori, aucune remise en question des droits afférents à la procédure d’asile n’est en vue, même si lundi, Emmanuel Macron a jugé l’asile « détourné de sa finalité par des réseaux, des gens qui manipulent ».
Une allusion aux 80 000 déboutés annuels, dont beaucoup restent en France... et basculent dans le périmètre de l’AME !