«Ce ne sont jamais les responsables politiques qui paient la facture, ce sont les contribuables», réagit pour Sputnik Virginie Pradel, présidente de l’institut Vauban.
Alors que les plans d’aide et autres primes se multiplient ces dernières semaines pour soutenir les acteurs économiques, une question revient de manière récurrente: qui paiera cette note, qui s’annonce déjà comme particulièrement salée? «Augmenter les impôts, ce n'est pas notre choix», assurait encore le 21 avril Gérald Darmanin au micro de France Inter. Le ministre de l’Action et des Comptes publics expliquait que le gouvernement misait avant tout sur la reprise, la croissance, pour atténuer les effets économiques (et par rebond, fiscaux) de cette crise inédite.
Crainte de braquer les Français alors que l’on compte sur la consommation? Cette légèreté de ton vis-à-vis du choix de «l’endettement» interpelle d’autant plus après la fermeté observée du gouvernement pour défendre, au nom de l’équilibre budgétaire et du désendettement, ses projets de réformes.
De belles paroles auxquelles ne croit pas Virginie Pradel, fiscaliste, auteur du livre Impôts-mania, l’absurdité fiscale française (Éd. de l’Observatoire, 2019) et présidente de l’institut Vauban, un think tank français dédié à la recherche fiscale et économique. «Est-ce qu’on peut encore accorder un peu de crédit aux déclarations gouvernementales? Ce que dit aujourd’hui Gérald Darmanin vaut pour aujourd’hui et demain, ça ne vaudra plus rien», assène-t-elle avant d’enfoncer le clou:
«De toute façon, en matière d’impôts, le gouvernement dit n’importe quoi!»
Elle rappelle que durant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron lui-même avait fait la promesse (non tenue) de ne pas augmenter les impôts. Des «volte-face fiscales», quelles que soit les législatures, que dénonce régulièrement Virginie Pradel. Elle rappelle le b.a.-ba en matière budgétaire: «il y a forcément une hausse d’impôts dès lors qu’il y a une explosion des dépenses publiques, les deux vont de pair».
Ainsi, au vu de la gravité de la situation et des leviers pas aussi nombreux que certains aiment à le laisser penser, l’absence de tout rattrapage fiscal lui apparaît peu concevable.
«Si vous prenez un peu de recul, vous vous rendez compte que quand il y a des grandes périodes de remise en cause, cela a été le cas pendant la Révolution française, les deux Guerres mondiales ou la crise des années 70, à chaque fois, ce sont des catalyseurs qui font que l’on réforme profondément le système fiscal et en général, on augmente la taxation des revenus.»
Virginie Pradel évoque ainsi le cas des États-Unis au sortir de la Seconde Guerre mondiale, où «on a eu un taux d’imposition marginal sur le revenu du travail extrêmement élevé, de 94%» jusqu’au début des années 80. Un taux surprenant dans le pays chantre du libéralisme, mais alors nécessaire pour pallier les dépenses «exorbitantes» d’une superpuissance intervenant militairement pour porter ses idéaux et intérêts aux quatre coins du globe.
«Vous pouvez toujours taxer davantage le revenu»
Une flambée fiscale qui n’épargna d’ailleurs pas la France à la même période. Malgré une retombée des taux quelques décennies plus tard, le flou entretenu par la complexité de la fiscalité française, tout particulièrement celle autour de l’Impôt sur le revenu (IR), permet de continuer à assurer une imposition effective bien plus élevée que l’on pourrait penser.
«Si vous additionnez tous les impôts sur le revenu qui ne s’appellent pas “impôts sur le revenu”, mais qui portent sur le revenu, je pense à l’impôt sur le revenu, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, la CSG non déductible et la CRDS, vous arrivez à un taux marginal de 56%.»
«Vous pouvez toujours taxer davantage le revenu», résume la fiscaliste, forte de ces deux exemples. Si pour l’heure, Virginie Pradel estime qu’il reste difficile de savoir sur qui ou quand la pression fiscale va s’accentuer, notamment à l’approche des échéances électorales de 2022, elle rappelle que contrairement aux moyens de résorber des dettes, il existe «10.000 façons de prendre de l’argent sans appeler cela “impôt”».
En la matière, deux pistes semblent potentiellement envisageables par la majorité aux yeux de la présidente de l’institut Vauban, à savoir «une augmentation de la fiscalité du capital, d’une façon ou d’une autre, et la taxation des revenus».
«Il y a des catégories de contribuables qui sont beaucoup plus faciles à mobiliser que d’autres. Les propriétaires immobiliers, typiquement, on sait très bien qu’ils ne vont pas partir en Suisse ou en Belgique, à moins de céder leurs biens immobiliers», observe-t-elle.Virginie Pradel précise que «selon les alternances politiques, vous allez avoir des gens qui vont être plus ou moins choyés». Sous Emmanuel Macron, une surtaxation de l’immobilier lui apparaît ainsi être une «piste très vraisemblable», mais ce n’est pas la seule:
«Vous avez des produits très risqués en France, l’assurance-vie, avec ces milliards d’euros qui restent adossés à la dette française, n’est pas un investissement sécurisé quand on réfléchit à l’état de la France.
Pareil pour les propriétaires immobiliers, il y a eu des propositions assez folles, comme introduire des loyers fictifs, permettre à l’État de devenir propriétaire à 50% de vos biens immobiliers. Certains économistes du FMI ont proposé de taxer davantage les épargnants. Toutes les pistes sont ouvertes…» rappelle la fiscaliste.D’autres experts en matière de fiscalité ont récemment avancé au micro de Sputnik la possibilité d’une suppression de la flat tax lors du prochain quinquennat. Une piste qui apparaît incongrue aux yeux de Virginie Pradel, du moins en cas de réélection d’Emmanuel Macron. Pour autant «impossible n’est pas français», selon la citation impériale éculée, rappelle-t-elle, soulignant que «personne ne s’attendait» a une crise aussi grave.
Il existe «10.000 façons de prendre de l’argent sans appeler cela "impôt"»
«Rien n’exclut qu’on n’introduise pas une tranche supplémentaire sur les revenus les plus élevés, une nouvelle taxe de solidarité», ajoute-t-elle, bien qu’elle admette que dans un tel cas de figure, le chef de l’État devrait alors «revenir sur beaucoup de choses» s’il cédait sur des mesures totem de sa campagne.