L’épidémie du coronavirus frappe l’imagination: les médias sont remplis d’images d’hôpitaux en détresse, et une grande partie du monde fait l’expérience inédite d’un confinement soit partiel, soit total. Au-delà de l’aspect humain, avec ses drames, sa douleur, se pose aussi la question du coût économique de cette épidémie, et surtout des mesures de confinement.
Un impact économique important
Il est clair aujourd’hui que l’impact de l’épidémie du coronavirus sera important. Le confinement de la population française a mis à l’arrêt une grande part de la production. Une autre partie de la production a été touchée par le ralentissement de la production dans les pays avec lesquels nous avons beaucoup d’échanges économiques, ainsi que par le manque de pièces détachées. Le télétravail, souvent présenté comme une solution miracle, n’est pas applicable dans de nombreux secteurs, et il se fait avec une forte baisse de la productivité. Enfin, la fin du confinement ne signifiera pas immédiatement un retour à la normale. La fin du confinement sera progressive, et il en sera de même pour le retour à un rythme normal d’activité.
Cet impact peut donc être estimé. Nous savons ainsi que, d’ores et déjà, il y a plus de 4 millions de salariés en chômage partiel. Aussi, l’Insee a fait des estimations qui ont été publiées le 26 mars. Très clairement, les secteurs les plus touchés seront l’industrie et la construction. L’institut de statistique évalue la perte d’activité à -52% pour l’industrie et -89% pour la construction.
Ces chiffres sont probablement en deçà de la réalité. Les pertes de production dans l’agriculture et les services sont sous-estimées. Certains services, ceux qui sont liés au tourisme, à l’hôtellerie et à la restauration vont être durablement touchés. Ajoutons que l’impact de ce choc sera différent selon que l’on pense aux grandes entreprises ou aux petites, moyennes et très petites entreprises. Les pertes de revenu pour les PME et les TPE sont dramatiques. Or on a tendance à oublier qu’elles sont les premiers employeurs du pays.
Toujours d’après ces estimations, sur l’ensemble de l’année 2020, la perte de production pourrait atteindre -6,5% du PIB pour une durée de confinement de six semaines et -8% pour huit semaines.
Comme on l’a dit, ces estimations sont probablement encore trop optimistes, si l’on inclut les pertes de production qui viennent de l’efficacité moindre du télétravail sur celle du travail «direct», du fait que l’agro-alimentaire va manquer de main d’œuvre, que le retour à l’activité ne pourra être que progressif, et que plus la durée du confinement sera longue, plus les pertes par semaine seront importantes. Les estimations faites au Centre d’études des modes d’industrialisation (CEMI) de l’EHESS font apparaître des hypothèses plus pessimistes. On a ajouté dans ces hypothèses, tout comme dans celles de l’Insee, les pertes de production inévitables dans la période de déconfinement.
On peut donc estimer que les pertes sur l’année 2020 pourrait aller de -7,6% pour six semaines à -10,3 pour huit semaines. Un tel choc, qui est sans équivalent pour l’économie française depuis 1945, aura des conséquences désastreuses sur l’emploi.
La hausse du chômage pourrait atteindre entre 500.000 et 1 million de personnes, suivant la nature des mesures prises pour éviter une catastrophe dans les PME et TPE. Le risque est donc réel, compte tenu des mesures modifiant l’accès aux assurances chômages, entrées en vigueur au 1er janvier 2020, que l’économie française entame un cycle de récession-dépression.
Les questions sur la sortie du confinement
Ici, deux questions sont importantes. La récupération de l’offre prend une double dimension, interne et externe. D’un point de vue interne, et en supposant que la levée du confinement se fasse à la même date sur l’ensemble du territoire métropolitain, la principale question résidera dans la capacité des PME et TPE à reprendre leur activité, après être restées entre six semaines et huit semaines sans rentrées d’argent. D’un point de vue externe, une grande partie des pays qui exportent vers la France connaissent les mêmes problèmes que nous.
La question de la demande a, elle aussi, un volet interne et un volet externe. Pour ce qui est du volet interne, la question de la psychologie des consommateurs pèsera lourd. Or cette psychologie n’est pas la même suivant les différents milieux sociaux, les conditions de confinement, le niveau d’éducation. Si l’on peut raisonnablement anticiper une bouffée de consommation dans l’immédiat post-déconfinement, comme on le vit dans l’après-guerre, il est loin d’être sûr qu’elle soit durable.
[…] Il faudra donc au minimum deux mois, peut-être six, pour que l’économie française retrouve, si elle doit le retrouver, son niveau normal d’activité. Car il existe un risque réel, qui pourrait être aggravé si le gouvernement met en œuvre une politique macroéconomique inadaptée: que l’économie s’enferme dans un équilibre dépressif, se situant de manière stable à un niveau inférieur de 1 à 2% à celui atteint en 2019. Les chiffres que l’on peut estimer à l’heure actuelle risquent donc d’être majorés.
Il est donc important que le gouvernement réserve une partie de la consommation des administrations publiques aux PME et TPE, pour leur assurer les conditions d’un bon redémarrage. À l’image de ce qui se fait aux États-Unis, environ 30% des commandes publiques devraient être réservées aux PME et TPE travaillant en France. Le gouvernement doit ensuite s’assurer qu’aucune grande entreprise ne fera faillite.
En effet, le montant des dettes est aujourd’hui tel qu’il est exclu, sauf à provoquer une nouvelle dépression avec ses conséquences politiques, de faire payer ces dettes par les ménages.
L’idée avancée par Christine Lagarde et le FMI en 2013 d’un prélèvement autoritaire de 10% de l’épargne aurait aussi des effets dépressifs importants, car les ménages voudraient reconstituer leur épargne au plus vite et limiteraient fortement leur consommation.