«Quand les plaideurs en sont arrivés à devoir saisir le juge pour contrôler l’action du gouvernement, ça pose un autre problème, qui est: où est l’opposition?» déclarait le 16 avril au micro de Sputnik Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste représentant un collectif de professionnels de la santé (C-19), qui a porté plainte contre Olivier Véran, Édouard Philippe et Agnès Buzyn.
Bien qu’elles ne fassent pas la Une des médias, les procédures judiciaires à l’encontre du gouvernement se multiplient. Près d’une trentaine, à en croire nos confrères du Point, qui leur ont accordé un dossier dans leur édition papier du 23 avril. Couvre-feux municipaux, commandes de masques, maintien du premier tour des législatives ou encore les aveux d’Agnès Buzyn: nos confrères dépeignent un Conseil d’État en «surchauffe», avec un nombre de recours (référés-liberté) multiplié par trois. Un «opportunisme judiciaire tout à fait délétère», tranche auprès du Point l’avocat pénaliste Hervé Temime.
Des poursuites à la volée, un «juriscovirus» particulièrement contagieux, dont la crainte paralyserait l’exécutif, n’aidant ainsi en rien à la résolution de la crise sanitaire en France. Des procédures judiciaires qui agacent au plus haut sommet de l’État: selon Le Canard enchaîné (ici repris par nos confrères de Gala), «Emmanuel Macron a été ulcéré par les plaintes déposées à la Cour de justice de la République».
«Les avocats des plaignants font feu de tout bois, puisant dans toute la gamme des “infractions d’omission” indexées au Code pénal, pas toujours avec discernement», développe Le Point, qui plus tard évoquera un «populisme pénal».«Pourquoi pas “complotisme judiciaire”?» réagit à notre micro Régis de Castelnau, avocat spécialiste en droit public, fondateur du Syndicat des avocats de France (SAF) et animateur du blogue vu du droit. L’avocat estime «inadmissible» la «disqualification des procédures pénales» via l’emploi de ce type de propos. «Je ne vois pas pourquoi on interdirait aux gens d’utiliser les voies de droit qui sont à leur disposition», estime-t-il encore.
Me de Castelnau tient toutefois à rappeler que le rôle des instances judiciaires n’est pas le même que celui des commissions d’enquête parlementaires, craignant une confusion des rôles. «Le juge pénal ne va pas juger l’action du gouvernement, il va juger les actes commis par les membres de celui-ci et par l’administration qui est sous sa responsabilité», précise-t-il, marquant une divergence avec son confrère à l’origine de plaintes à l’encontre de plusieurs ministres.
Le jugement d’une politique revient aux parlementaires, le jugement des actes individuels, aux juges. En somme, les «deux modes de contrôle s’articulent», mais ne se remplacent pas. «Il ne faut pas les confondre et il ne faut pas prétendre que le contrôle du juge pénal […] serait une façon détournée de violer la séparation des pouvoirs», résume-t-il. Pour autant, Me de Castelnau concède un point important à son confrère:
«Ce qui me semble évident, c’est la défaillance totale du contrôle parlementaire, surtout depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, où l’on a une Assemblée croupion –qui ne fait pas un véritable contrôle–, qui est devenue une chambre d’enregistrement totalement caporalisée, fait qu’on va se tourner vers le système pénal pour qu’il ordonne aux politiques de rendre des comptes.»Du côté de l’Assemblée, pour l’heure, seule une «mission d’information» a été créée, sous la houlette de Richard Ferrand et où seuls les présidents de commission permanente ont droit au chapitre en tant que co-rapporteurs. On n’y retrouve ainsi qu’Éric Woerth, président de la commission des finances du Palais Bourbon, pour représenter l’opposition dans cette mission qui durera «jusqu’au retour à la normale». À ce moment-là seulement, cette commission, où la majorité est surreprésentée, «pourra demander à bénéficier, pour une durée n’excédant pas six mois, des prérogatives d’une commission d’enquête».
«Le contrôle parlementaire n’existe pas»
Peu de chances donc, aux yeux de Castelnau, que cet outil de contrôle politique de l’action du gouvernement que constituent normalement les commissions d’enquête dans les démocraties parlementaires ne vienne apporter un semblant de réponse aux multiples interrogations des Français. «Toutes ces circonvolutions montrent bien que l’on est dans la suite de la pantalonnade de la commission d’enquête parlementaire [de l’Assemblée nationale, ndlr] sur l’affaire Benalla», estime le spécialiste en droit public, rappelant les casseroles que traîne l’actuel président de l’Assemblée nationale et pilier de la macronie.
«Cela nous montre bien que le contrôle parlementaire n’existe pas», assène Me de Castelnau au micro de Sputnik.Il faut dire que pour l’heure, seuls les Républicains début mars et les communistes un mois plus tard ont brandi la menace de constituer un tel organe de contrôle. De son côté, le gouvernement dit avoir «besoin de temps», «d’un peu de recul» et appelle à l’unité nationale face à cette crise qui tue en France depuis le 14 février. Une inaction des élus d’opposition qui exaspérait Me di Vizio, qui dans les appels à l’unité nationale voyait les conséquences d’«alliances et petits arrangements» politiciens:
«C’est le cœur de la démocratie: si vous voulez que ça fonctionne, que la minorité s’oppose! Or, c’est exactement ce qu’elle n’a pas fait», s’emportait l’avocat dans l’entretien avec Sputnik du 16 avril.