La Commission européenne a annoncé ce 28 avril avoir conclu avec le plus grand pays d'Amérique centrale un accord qui lèvera la quasi-totalité des droits de douane sur les produits échangés avec l'UE. Les agriculteurs français et les défenseurs de l'environnement s'inquiètent des conséquences de cet énième traité de libre-échange.
Peut-être y aura-t-il un "monde d'avant" et un "monde d'après" le coronavirus, mais l'Union européenne semble elle bien décidée à ne pas changer. Alors que l'attention de tous se porte sur la meilleure manière de gérer la pandémie qui frappe la planète, l'UE vient d'annoncer ce 28 avril avoir conclu "les derniers points en suspens" d'un accord de libre-échange avec le Mexique.
Le commissaire chargé du Commerce, l'Irlandais Phil Hogan, plastronne : "Ces derniers temps, la lutte que nous menons dans la crise du coronavirus mobilise toute notre énergie, mais nous avons aussi fait progresser notre programme en faveur d'un commerce ouvert et équitable, qui n'a rien perdu en importance."
L'UE et le Mexique avaient déjà conclu un deal au début des années 2000, mais les bases du nouvel accord sont bien plus ambitieuses : la quasi-totalité des échanges de biens entre les membres de l'organisation supranationale et le pays d'Amérique centrale seront exemptés de droits de douane, et notamment les produits agricoles, une nouveauté.
L'UE exhibe tout son enthousiasme dans la présentation de l'accord négocié par la Commission européenne, louant "l'immense potentiel du Mexique pour que les entreprises de l'UE augmentent leurs exportations", prédisant une baisse du prix des produits mexicains en Europe et l'arrivée massive de denrées du Vieux Continent dans le sens inverse, grâce à l'abaissement des barrières, tarifaires ou non.
Au-delà des objectifs commerciaux, l'accord poursuit des objectifs purement idéologiques : "Conclure un accord neuf et modernisé enverrait au monde le message puissant que le Mexique et l'UE rejettent tous deux le protectionnisme", avance la Commission européenne.
Inquiétude des agriculteurs français
En parallèle de cette rhétorique triomphaliste, l'UE apparaît également attachée à répondre aux inquiétudes déclenchées par sa politique, qu'elle balaie méthodiquement dans son document de présentation. "L'accord n'aura aucun effet sur les services publics comme la santé ou l'éducation", peut-on ainsi lire, tout comme la promesse que les normes européennes pour les produits alimentaires ne seront pas affectées.
"L'accord n'exigera pas des gouvernements européens qu'ils privatisent toute entreprise possédée par l'Etat ou baisse la qualité des services publics", insiste l'UE ; des exigences certes probablement absentes du texte avec le Mexique, mais qui entrent toutefois dans la logique des traités européens.
Face aux critiques sur l'opacité des négociations des accords de libre-échange, enfin, la Commission indique qu'elle a opéré "au nom de l'UE, en conformité avec les recommandations données par les gouvernements des Etats-membres" et en contact permanent avec eux.
L'UE est en revanche beaucoup moins bavarde au sujet des avantages obtenus par le Mexique dans l'accord. A lire le document fourni par la Commission de Bruxelles, on peut en effet penser que seuls les pays européens retireront des bénéfices du futur traité. Ainsi, il est indiqué que l'UE exige du Mexique qu'il "abolisse ses tarifs douaniers sur les biens importés d'Europe" et rende la tâche des entreprises de l'UE plus aisée. Mais rien, ou presque, n'est écrit concernant les avantages obtenus par le Mexique en échange de telles concessions.
Pourtant, du côté des agriculteurs français, instruits par les conséquences désastreuses des précédents accords de libre-échange sur leurs conditions de vie, l'inquiétude est déjà vive : Interbev, l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, a publié un communiqué alertant sur "l'ouverture du marché européen à 20.000 tonnes de viandes bovines mexicaines à droits de douane très réduits", une décision qualifiée de "scandale" puisque d'après le syndicat "ces viandes étaient jusqu'à aujourd'hui interdites sur le sol européen en raison de leur non-conformité aux normes sanitaires de l'UE.
" De son côté, la Coordination rurale prévoit que "l’importation de plusieurs milliers de tonnes de produits issus de l’élevage" ait pour conséquence de "détruire l’équilibre économique des éleveurs français". Emmanuel Maurel, député européen membre de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), soupire : "Comme on le craignait, la Commission européenne semble n’avoir tiré aucune leçon des graves crises que nous traversons. Déjà très frappés par les accords de libre-échange précédant, les paysans des deux bords vont être mis encore davantage en concurrence avec les produits de l’agrobusiness."
Une occasion pour Emmanuel Macron ?
L'accord de libre-échange ne met pas seulement en danger les agriculteurs. Les risques sur l'environnement sont également élevés, puisque le libre-échange accroît l'intensité des flux de marchandises, le cas échéant d'un continent à l'autre.
L'intensification des activités productives a également des conséquences négatives sur la biodiversité : le Mexique en est un exemple particulièrement illustratif, puisque le pays a vu fleurir des "maquiladoras", usines de montage exemptées de droits de douane assemblant des biens importés avant de les exporter. L'installation d'usines polluantes, notamment par des multinationales, a aussi eu des effets calamiteux, sur la pollution et la distribution de l'eau.
La Commission européenne se fait très timide sur le volet environnemental de l'accord de libre-échange avec le Mexique : même si elle indique que le futur traité ne doit pas instituer "une course au moins-disant" en matière d'écologie, et que les deux parties se sont engagées à "promouvoir le développement durable" et "conserver la biodiversité", aucun élément de contrainte obligatoire n'est mentionné s'agissant de l'environnement.
L'accord est toutefois loin d'être entré en vigueur. A la fin des négociations, il sera publié sur le site de la Commission européenne et devra être approuvé par les gouvernements des Etats membres de l'UE, le Parlement européen, le Sénat mexicain… et les parlements de chaque pays de l'UE.
Voilà peut-être une occasion pour Emmanuel Macron de prouver que ses prises de position en faveur d'une reconquête de la souveraineté française ne relèvent pas que de la pure rhétorique ; "Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d'autres, est une folie", a récemment déclaré le président français au Financial Times.
Dans le même journal, le commissaire européen au Commerce Phil Hogan a affirmé le 23 avril : "L’autonomie stratégique ne signifie pas que nous devons faire de l’auto-suffisance notre objectif." Les visions de la France et de la Commission européenne sur ce sujet apparaissent aux antipodes, reste à savoir si cette opposition théorique se traduira en actes.