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david MIEGE
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19 juillet 2020 06:00

Les dirigeants de l’Union européenne se réunissent pour deux jours à Bruxelles. Au menu des discussions du Conseil européen : le plan de relance de 750 milliards d’euros. Angela Merkel se trouve en première ligne, d’autant que cette année c’est l’Allemagne qui assure la présidence tournante de l’Union. L’analyse de Nader Allouche.

Le 27 mai 2020, la chancelière allemande Angela Merkel s'exprimait devant la Konrad Adenauer Stiftung - la fondation politique de la CDU, qui fait office de réseau diplomatique bis de la République fédérale d'Allemagne - et développait les axes principaux de l'agenda de Berlin pour la Présidence allemande de l'Union Européenne, qui a commencé au 1er juillet.
D'emblée, Merkel a précisé ses priorités. Il s'agit : 1. de relancer l'économie dans le sens de la neutralité climatique, 2. d'avancer dans la transition numérique, et 3. de renforcer le rôle de l’Europe comme pôle de stabilité du monde.

C'est une manière euphémisante de dire que le Green Deal, la 5G et la défense européenne seront au cœur de l'action allemande à la présidence de l'Union européenne. Trois dossiers majeurs, où les intérêts européens, et notamment ceux de Berlin et de Paris, sont divergents.

En l’absence de volonté française de recouvrer intégralement sa souveraineté en matière de défense, et malgré l'activisme du président Macron pour que l'Europe s'émancipe de l'OTAN, afin de créer une défense européenne, l'Alliance a encore de beaux jours devant elle.

Les contraintes budgétaires françaises - la France n'a pas les moyens de se doter d'un deuxième porte-avions, et le porte-avions nouvelle génération destiné à remplacer le Charles de Gaulle ne sera disponible qu'en 2038, si la loi de programmation militaire adopte bien le budget nécessaire - n'offriront d'autre alternative que celle de renforcer l'OTAN pour préserver la sécurité de la zone transatlantique.

De là à faire payer les Européens comme Trump le voudrait, en leur vendant du matériel militaire américain à hauteur de 4% de leur budget national, il y a plusieurs pas que les Allemands rechignent à faire, au nom des intérêts de leur propre industrie militaire.

Berlin n'est pas plus généreux avec les Français, comme en témoignent les nombreux ratés de la coopération franco-allemande en matière militaire. A ce jour, il n'y a toujours pas d'avion de chasse franco-allemand. La coopération aéronautique que la France et l'Allemagne, rejointes par le Royaume Uni, ont engagée dans les années 70 a échoué, pour des raisons budgétaires (la grande obsession allemande).

Finalement, les Français ont construit leur rafale et les Allemands leur eurofighter. Un projet d'envergure est actuellement en cours - le SCAF -, qui prévoit de développer un système complet de défense aérienne avec des drones, des satellites, des avions radars et des armements spécifiques, mais Berlin ralentit le projet, parce qu'il est sous le pilotage des Français, et le Bundestag a tardé à voter les crédits nécessaires et a posé plusieurs conditions. Nous verrons si les pressions américaines - le SCAF sera un concurrent sérieux du chasseur F-35 de Lockheed Martin - pèseront Outre-Rhin, dans les mois qui viennent.

L'Europe de la défense imaginée par le président Macron est défaillante. Les Français espéraient que les Allemands alimenteraient volontiers le budget militaire de l'Hexagone, après l'engagement que la France déploiera son armée au service des Etats membres de l'Union Européenne (ce qui est déjà le cas). De quoi faire rire à Berlin.

L'Allemagne est prête à s'engager pour rendre l'UE indépendante (souveraine?) en matière de défense, mais pose deux conditions : mettre la dissuasion française sous contrôle européen et que la France cède à l'Union Européenne son siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. Il est clair que nous n'aurons pas l'argent des Allemands sans céder notre souveraineté militaire à l'UE.

En matière de défense, le constat paraît aujourd’hui sans appel : nous ne sommes plus une super-puissance militaire, comme, d'ailleurs, le Royaume Uni. Dans le même temps, la Chine a mis en service son deuxième porte-avions en décembre 2019, et est déjà en train d’en construire un troisième - le premier de sa flotte dotée de la propulsion nucléaire -, annoncé pour 2025, 13 ans avant notre deuxième porte-avions.

En attendant un consensus franco-allemand et européen pour une Europe de la défense, des initiatives privées voient le jour. L'homme d'affaires franco-libanais Iskandar Safa, propriétaire des chantiers navals CMN, a annoncé la fusion de son chantier naval allemand, à Kiel - dans le Land du Schleswig-Holstein - avec celui de l'entreprise familiale Lürssen, un des grands noms allemands de cette industrie.

A plus long terme, cela pourrait déclencher d'autres mouvements dans l'industrie navale européenne. L'objectif est de créer le numéro 1 allemand des navires militaires de surface, alors que la ministre des Armées, Annegret Kramp-Karrenbauer - un temps pressentie pour être la successeure d'Angela Merkel - a attribué le plus grand appel d'offres de la marine allemande (pour le développement des frégates MKS-180) à la société hollandaise Damen. Le contrat vaudrait quelque 5 milliards d'euros, et fut ouvert aux entreprises européennes, après que l'ancienne ministre des Armées de Merkel et aujourd'hui Présidente de la Commission Européenne - Ursula von der Leyen - s'est lassée des retards et des surcoûts enregistrés sur la fourniture des frégates de type F125 et des corvettes de la classe K130.

C'est, en effet, sur mer que la sécurité mondiale est la plus menacée, en particulier en mer de Chine - méridionale et orientale -, où la situation est très inquiétante. Ces derniers-jours, les Etats-Unis ont déployé dans la zone deux porte-avions, le « Ronald Reagan » et le « Nimitz », en réaction à des manœuvres chinoises perçues comme extrêmement hostiles par les pays voisins. Le déploiement américain, qui a eu lieu samedi 4 juillet, est sans précédent depuis 2014.

Les Chinois, eux, sont déjà en Méditerranée, dans les ports européens. Cette stratégie a commencé il y a une dizaine d'années, quand le géant chinois Cosco a jeté son dévolu sur le Pirée. Plus récemment, la Chine signait avec l'Italie un accord pour intégrer les ports de Gênes et de Trieste à la nouvelle route de la Soie - un programme chinois d’investissements dans des infrastructures permettant de relier Pékin à l’Europe. Grâce à cela, Trieste pourrait retrouver son rôle de porte d’entrée de l’Europe centrale, qu’elle perdit à la suite de la Première Guerre mondiale, mais au prix de devenir la nouvelle cinquième colonne chinoise en Europe.

D'après les propos d'Olaf Merk, expert du transport maritime à l'OCDE, qui s'exprimait au Forum international du transport de l'organisation sus-citée - ses propos ont été rapportés dans un article des Echos daté du 17 octobre 2019 -, « environ 10% des capacités européennes de terminaux de containers sont dans des mains chinoises », et « on pourrait facilement imaginer des parts de marché entre 25% et 50% d'ici cinq ans ».

Certes, l'Union européenne a réagi, par la voix de Jean-Claude Juncker, l'ancien président de la Commission. Ce dernier a voulu créer un mécanisme de supervision des investissements étrangers, et s'est longuement attardé sur le secteur portuaire, une manière de viser la Chine sans la nommer, mais les investissements européens restent trop faibles à l'intérieur de l'UE et les pays en difficulté sont soumis à des conditions drastiques en échange de l'aide européenne. Le Mécanisme européen de stabilité semble comme dépassé par les promesses d'investissements chinois, et les Chinois pourraient être prêts à racheter de la dette des pays du Sud de l'Europe.

Cela permet à Pékin d'exercer un certain pouvoir sur les pays européens où il a pris racine. En juin 2017, la Grèce a utilisé son veto à l’occasion du Conseil sur les droits de l’homme de l'ONU, pour empêcher une déclaration de l'Union européenne critiquant les agissements de la Chine en matière de droits de l'homme.

La Chine ne cherche pas que l'hégémonie économique, et il serait d'ailleurs bien naïf de croire que l'hégémonie économique reste cantonnée à l'économie. Ils auront bientôt le contrôle de nos infrastructures portuaires, grâce à leurs rachats, et contrôleront la logistique. Cela leur permettra de savoir très exactement qui rentre et qui sort de nos ports marchands, et de pouvoir bloquer les accès quand cela sera dans leur intérêt commercial ou politique. S'ils voulaient créer un embargo, ils auraient alors toutes les coordonnées nécessaires.

La 5G, que Merkel s'apprête à acheter à Huawei - pour le moment, elle est bloquée par le SPD, qui fait partie de la coalition gouvernementale -, sera, à n'en pas douter, le coup de grâce donné à la « souveraineté européenne ». La France - qui, contrairement à l'Allemagne, est une puissance militaire - se montre beaucoup plus prudente : la 5G est une technologie duale, civilo-militaire. Offrir notre marché civil à Huawei, c'est à terme contraindre nos armées à recourir aussi - même partiellement - à cette entreprise chinoise. En effet, le marché militaire est beaucoup plus petit que le marché civil, et si nous attribuons déjà le civil à Huawei, les débouchés économiques de notre 5G militaire seront très réduits, et nos investissements non rentables (nous n'avons pas les moyens de la non rentabilité). De plus, la Chine n'a aucune autorité de régulation pour la 5G, ce qui signifie qu'elle pourrait, d'un claquement de doigt, sur la base d'un conflit politique ou commercial majeur, couper notre système informatique, parce qu'entre temps, toutes nos entreprises seront passées à la 5G, dont les performances sont nettement supérieures à la 4G et permettent des bénéfices beaucoup plus importants. Si Merkel signe - égoïstement et à courte vue (les intérêts économiques de l'Allemagne avant la souveraineté technologique) -, Paris reconsidérera probablement son partenariat historique et institutionalisé avec Berlin - le fameux couple franco-allemand -, et, qui sait, se tournera peut-être vers Londres et Washington.

La Chine a finalement la même stratégie que, jadis, les Etats-Unis. Le développement de la technologie à usage dual - civil et militaire - est devenue la grande stratégie chinoise, comme autrefois l'Amérique avec le GPS. Les Européens - à l'exception des Français - ont le sentiment qu'on s'excite pour des câbles et des téléphones, et ne voient pas les enjeux. Pour eux, ce truc ne peut être la guerre, ça n'est pas sanglant. Et, pour les tenants de l'idéologie du libre marché, la « cyberdomination » n'est pas un problème : elle est naturellement régulée par le marché. Marché de dupe?

La Présidence allemande de l'Union européenne tranchera la question de la 5G, en particulier si le Bundestag - plus puissant que le Parlement Européen - décide d'autoriser l'Allemagne à signer avec Huawei. Le coronavirus et les élections fédérales à venir pourraient accélérer la décision allemande, sous la pression de ses multinationales, qui voient dans la 5G un outil exceptionnel de relance et qui ont peur que les délais pour trouver une nouvelle coalition gouvernementale, après les élections de 2021, ne retardent encore l'affaire.

Dans tout cela, le Green Deal parait bien moins urgent, malgré toutes les opérations de communication de l'Allemagne et de l'Union européenne, autour de l'écologie. La vérité, c'est que nous sommes bien incapables, dans les deux régions où la pollution de l'environnement a le plus de conséquences pour le reste du monde - la mer de Chine et le golfe arabo-persique -, de peser en quoi que ce soit pour l'écologie.

In fine, la Présidence allemande de l'Union européenne sera à l'image de Merkel : l'Allemagne doit payer le moins possible, et gagner le plus possible. Mais que peut-on gagner à se vendre soi-même?

 

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