Bonne dernière: c’est la place au sein de l’Union européenne de la France en matière de balance commerciale. Avec 9,3 milliards d’euros de déficit pour le seul mois de juin, non seulement l’Hexagone aggrave son ardoise mais il touche le fond du classement européen, loin derrière tous les autres États membres.
L'aggravation du déficit commercial de la France s'accélère, contrairement à celui de nos voisins européens. Pour l’économiste Charles Gave, ce déficit chronique de la balance commerciale n'est que le reflet des maux de l’économie tricolore, en l’occurrence l’étranglement de son secteur privé sous le poids de l’État.
La faute au Covid-19? Depuis le début de la crise sanitaire, certains économistes et journalistes économiques avancent que «pendant le confinement», le recul des exportations dans les «secteurs clés dont l’aéronautique» a contribué à aggraver la balance commerciale tricolore. Hormis le fait que la France creuse son déficit depuis 16 ans, l’aéronautique est un exemple à prendre avec prudence dans la mesure où ce secteur, majoritairement incarné dans l’Hexagone par Airbus, profite également à l’Allemagne qui, de son côté, affiche toujours un excédent commercial insolent (14,3 milliards en juin) et qui, rappelons-le, demeurait en 2019 le plus fort au monde devant celui de la Chine.
D’ailleurs, à en croire les données des autres pays européens agglomérées par Eurostat, rares sont ceux qui ont vu s’aggraver leur déficit commercial en ces temps de crise sanitaire mondiale, bien que certains États européens à la balance commerciale excédentaire (l’Allemagne n’est pas la seule) pourraient décevoir par rapport à 2019.
La France, seul État membre dont la dégradation du déficit s’accélère
L’Autriche a beau être dans le rouge sur la période juillet 2019–juin 2020, le déficit commercial qu’elle enregistre ces trois derniers mois est du même ordre que celui enregistré avant la crise sanitaire. En février et mars, l’aggravation de celui-ci s’est même nettement ralentie. Même schéma à Chypre ou, dans une moindre mesure, en Lettonie. Et même la Grèce, qui enregistrait en moyenne 1,8 milliard de déficit commercial par mois avant la crise, a vu ce chiffre passer à 1,2 milliard à partir de mars. Idem en Roumanie ou encore en Espagne: si la balance de cette dernière reste fortement négative sur le semestre, son déficit a quasiment cessé de se creuser ces deux derniers mois. La Tribune souligne d’ailleurs que la péninsule ibérique a, par rapport à l’an passé, «pratiquement divisé par deux» son déficit commercial au premier semestre.
Quant à l’Irlande et aux Pays-Bas, les deux pays affichent respectivement 6 et 4 milliards d’excédent commercial, sans jamais être passés dans le rouge. Une fourchette dans laquelle se place également l’Italie, État européen le plus touché par la pandémie et souvent présenté dans les médias tricolores comme le canard boiteux de l’UE. Après une légère inflexion en avril, elle est pourtant revenue à un excédent commercial de 5,3 milliards d’euros au mois de juin, soit son niveau d’avant-crise.
Globalement, seule la Hongrie enregistre avec la France une aggravation plus forte encore de sa balance commerciale par rapport à avant la crise et encore, ce pays d’Europe centrale reste en excédent commercial sur le semestre.
Concrètement, par son ampleur (un trou de 58,9 milliards en 2019, en «amélioration» par rapport à l’an passé) et son aggravation constante, la France est un cas unique dans l’Union européenne.
Un secteur public trop lourd à porter pour le privé
Comment expliquer un tel déclin commercial de la France? Pour l’économiste Charles Gave, président du think tank libéral L’Institut des libertés, la réponse est évidente: l’économie française pâtit de l’hypertrophie de son secteur public, en somme du «poids de l’État». Bien que selon l’Insee, la proportion des dépenses publiques dans le PIB serait en baisse depuis des années, elles représentaient encore près de 56% de la richesse nationale en 2018.
Un niveau qui place la France en tête du classement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En comparaison, la même année l’Allemagne –avec laquelle les Français aiment se comparer– affichait un niveau de dépenses publiques à hauteur de 44,9% de son PIB.
«Avec 10 points de PIB en plus, le jockey français pèse 80 kilos alors que son homologue allemand en pèse 40. Lequel des deux va gagner la course?»
Or, comme le souligne l’économiste, non seulement le secteur public ne génère pas d’exportations, ne contribuant ainsi pas au rééquilibrage de la balance commerciale française, mais il l’aggraverait même. Selon Charles Gave, les agents de l’État, dont le statut les met à l’abri des aléas économiques, n’ont pas revu à la baisse leurs habitudes de consommation face à la crise et avec elles, leur demande en biens étrangers.
«L’amélioration des déficits commerciaux [des autres États membres, ndlr] vient certainement d’une très forte baisse de leurs importations, parce que les gens se sont restreints. Tandis qu’en France il n’y a que les 45% du secteur privé qui se soient restreints, les 55% du secteur public n’ont aucune raison de se restreindre.»
Dans un pays où la consommation a été érigée comme l’alpha et l’oméga de l’économie, la consommation de produits étrangers est encore trop forte par rapport à ce que la France est capable d’exporter. En effet, faute de pouvoir dévaluer, comme par le passé, pour pallier tout écart de compétitivité, les produits tricolores sont généralement plus chers que leurs concurrents, leurs prix reflétant des coûts de production dans l’Hexagone gonflés par les charges. Des prélèvements obligatoires dont vit l’État et qui, en 2017, représentaient en France près de 48,4% de son PIB, soit la pression fiscale la plus élevée des pays de l’OCDE. En somme: un cercle vicieux qui étrangle à feu doux le secteur privé français.
«Ce qui se serait passé dans un pays normal, c’est qu’on aurait dévalué à cause de notre manque de compétitivité et à la place de payer les fonctionnaires en deutsche marks, ils auraient été payés en francs français et du coup, les entrepreneurs français auraient pu vendre à l’étranger. Mais là, les fonctionnaires sont payés en deutsche marks et celui qui fait la différence, celui qui paie les fonctionnaires en deutsche marks, c’est le secteur privé français. Du coup, il s’atrophie.
La rentabilité des entreprises françaises s’écroule à cause du poids du siège social France», vulgarise Charles Gave.
Ce dernier dénonce la «farce» de la comptabilité nationale, où l’«on mesure la rentabilité d’un fonctionnaire au salaire qu’on lui verse». «Plus vous augmentez de fonctionnaires, plus le PIB augmente… et plus la dette augmente… et plus le déficit extérieur augmente», développe-t-il, avant d’assener qu’«un système qui diverge finit toujours par exploser».
«Un système qui diverge finit toujours par exploser»
Dans une telle situation, les entreprises ne sont pas les seules à pâtir de ce poids grandissant de l’État. Les Français ont vu au cours des dernières décennies s’effondrer leur pouvoir d’achat. «On est en train de s’écrouler en relatif, le niveau de vie en France –qui était le deuxième d’Europe au moment de Giscard, si ce n’est le premier– en l’espace de 30, 40 ans, on est passé au 13e rang», regrette l’économiste.
Pour Charles Gave, la réalité d’une France jouant à jeu égal avec l’Allemagne n’est plus, finalement, à cause du refus des hommes politiques français d’appliquer les réformes allant de pair avec la souscription d’une monnaie unique, commune à une diversité d’économies.