Homicides, violences sexuelles, coups et blessures volontaires… après une première photographie de l’insécurité et de la délinquance dans la France de 2019 publiée en janvier, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a rendu le 30 septembre une copie affinée. Cette étude, dix fois plus fournie que la première, confirme une nette hausse de toutes les violences à l’encontre des personnes.
Surtout, et malgré d’importantes corrections et requalifications statistiques, avec 880 homicides enregistrés par les services de police et de gendarmerie en 2019, le nombre de victimes d’homicide sur un an est en hausse de 4% (+35) par rapport à celui de 2015. Une année pourtant marquée par des attentats terroristes ayant causé 148 victimes, contre 4 en 2019.
Autre tendance qui se confirme, la hausse des violences intrafamiliales. Si les coups et blessures volontaires sont en hausse (+8% sur un an) dans le pays, l’évolution de ces violences commises au sein même de la cellule familiale est encore plus prononcée (+14%).
700 victimes de coups et blessures recensées par jour
«Ensauvagement» contre «sentiment d’insécurité» et «effet de loupe télévisuel»: cet ensemble de statistiques des services du ministère de l’Intérieur tranche avec le débat médiatico-politique entourant la montée des violences en France. Des statistiques sur lesquelles revient au micro de Sputnik Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire des arts et métiers.
Sputnik: La nouvelle édition du bilan «insécurité et délinquance» du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) pour l’année 2019 montre d’une augmentation des homicides de 4% (9% «avant requalification») par rapport à 2018. Comment expliquer une telle augmentation?
Alain Bauer: «D’abord, les homicides, comme la plupart des crimes et délits, fonctionnent soit en accidents –par exemple, un attentat est un accident statistique parce qu’il n’a pas vocation à se produire tout le temps et tous les jours, donc vous avez des accidents statistiques importants en 2015 et 2016 à cause des attentats de début 2015, de fin 2015 et de l’attentat de Nice– soit vous avez des continuités, des cohérences, des mouvements statistiques.
Le mouvement statistique depuis une dizaine d’années est une augmentation régulière, non pas des homicides, mais de “l’homicidité” c’est-à-dire de l’ensemble des éléments qui concourent à l’assassinat, au meurtre, aux coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, aux règlements de comptes, ainsi qu’une petite partie également sur les homicides sur et de mineurs.
Homicides, 2019 est «la pire de la période contemporaine du pays»
Donc vous voyez des mouvements, des mouvements sur le temps long. Vous avez un premier mouvement sur le temps long qui est une forte croissance entre les années 70 et les années 90, ensuite vous avez une forte décroissance jusqu’à 2010 – 2012 et puis une forte reprise de l’activité […] L’année 2019 est en réalité la pire de la période contemporaine du pays, c’est-à-dire depuis 1972, en quantité et, si on prend en compte l’évolution de la population, la troisième sur le podium.»
«Pourquoi est-ce qu’on a cet évènement? D’abord en fonction des évènements tragiques indiqués tout à l’heure –quand vous avez un attentat avec 50, 80 ou 100 morts, évidemment cela bouleverse votre outil statistique– et ensuite parce qu’un climat de violence dans la société s’est affirmé au cours des ans, que l’on voit sur l’ensemble des indicateurs, y compris les coups et blessures volontaires n’ayant pas entraîné la mort, mais qui semblent indiquer que les gens préfèrent régler leurs comptes avec leurs poings plutôt qu’avec leurs mots.»
Sputnik: Dans une note publiée par l’Institut pour la justice en janvier dernier, «Le grand retour de l’homicide», vous disiez qu’«un profond mouvement de retour de la violence physique semble se produire, particulièrement en Occident. Il est ignoré, volontairement ou involontairement, ou sous-estimé.»
Alain Bauer: «Oui, car comme vous pouvez le constater dans des débats extrêmement récents, vous avez toujours des gens qui vous expliquent que la violence n’existe pas, qu’elle n’a pas augmenté, que tout cela est une invention médiatique, etc.
J’explique toujours à ce moment-là que le débat n’est pas politique, il est de prendre en compte une réalité qui est le nombre de victimes. Quand vous prenez en compte la réalité du nombre de victimes, vous vous rendez compte de l’évolution très importante de la relation entre une ou des victimes et un ou des agresseurs et c’est cela qui change tout.
Cette évolution-là est particulièrement remarquable depuis le milieu des années 90, il n’y a jamais eu autant de personnes qui ont été confrontées à un ou des agresseurs, ce qui est un élément marquant de l’évolution de la société, notamment dans sa demande de sécurité. Par rapport à la société, vous ne pouvez pas utiliser le triptyque institutionnel “négation, minoration, éjection” ou en français courant “ce n’est pas vrai, ce n’est pas grave et ce n’est pas de ma faute”, car la société perd confiance dans l’État.»
Sputnik: En somme si vous êtes contre l’emploi du terme d’«ensauvagement», vous êtes également contre celui de «sentiment d’insécurité»?
Alain Bauer: «Oui, c’est un climat: le sentiment n’existe pas, le climat existe. Le sentiment relève du sentimental, ce n’est pas basé sur des éléments rationnels. Le climat est basé sur des éléments rationnels, c’est-à-dire le nombre de personnes qui ont été victimes d’une agression, quelle que soit sa forme, et ce nombre de personnes est en augmentation constante et en partie exponentielle à partir du milieu des années 90. Il ne faut pas être un génie intergalactique pour s’en rendre compte. Après, la manière dont on le traite est un sujet politique, qui ne relève donc pas de mes compétences en tant que professeur de criminologie.»
Sputnik: Pour autant, si rien n’est fait par l’exécutif pour contrer l’évolution de ce climat de violence, ne risque-t-on pas de tendre vers des extrêmes, tels que le souhait d’une majorité de Français, exprimé dans un récent sondage, du rétablissement de la peine de mort?
Alain Bauer: «Vous avez deux positions: vous avez une position philosophique –par exemple, moi, je suis un opposant à la peine de mort– et vous avez une position pratique: pourquoi pas? Est-ce que cela sert à quelque chose?
Réponse: cela ne sert à rien, la peine de mort n’a jamais réduit la violence où que ce soit. Cela permet d’éjecter un problème, mais cela ne résout pas la question et en plus cela ne fait que l’accentuer puisque si vous prenez les États aux États-Unis qui ont supprimé la peine de mort, ils sont moins criminogènes que les États qui l’ont maintenu.
C’est-à-dire que l’effet dissuasif de la peine de mort est une pure invention. Ce n’est pas dissuasif, cela satisfait ceux qui veulent se débarrasser des auteurs et je conçois la problématique de la vengeance, mais ce n’est pas de la Justice, c’est autre chose.»
«Ce type de proposition [rétablissement de la peine de mort, ndlr.] a toujours été là. Il est présent dans la société française. L’assassinat d’un enfant, une violence particulièrement horrible, etc. pousse les gens à considérer qu’il faut punir par là où on a péché, mais c’est un problème beaucoup plus culturel que criminologique, d’un point de vue criminologique, cela n’a aucun effet sur la cause qu’on veut traiter.»