Cheffe d’établissement dans le Sud-Ouest, Leïla alerte en vain sa hiérarchie d’une pression religieuse toujours plus intense. Effrayant.
Les relations entre les enfants restent-elles apaisées ?
Bien sûr ! Mais je ressens une forte pression sociétale de familles de plus en plus pratiquantes. Une petite fille de CP avait interdiction de jouer avec les garçons et son père la surveillait par le grillage en récréation pour vérifier… J’ai dû expliquer à la petite fille que je n’étais pas d’accord avec son papa et qu’ici elle jouerait avec qui elle voulait.
Les problèmes de laïcité sont plus visibles dans le secondaire, mais, comme nous sommes en contact direct avec les familles, nous voyons la racine.
En 2015, un de mes élèves de CM2 avait écrit que les chambres à gaz étaient « une vue de l’esprit ». Lorsque j’ai convoqué son père et lui ai mis sous le nez l’évaluation d’histoire, il m’a répondu que mon métier était de lui apprendre l’orthographe…
Et, chaque jour, je dois lutter contre l’ignorance. Mes élèves sont dans une grande confusion, ils confondent origine, religion et nationalité. Ils ne savent pas qu’ils sont français (ils disent qu’ils sont arabes), ils ignorent pourquoi ils ne mangent pas de porc, sans que ce soit malveillant ou agressif, d’ailleurs ! L’ignorance fait des ravages.
Dans leurs familles, on ne leur explique rien. La majorité de mes élèves me disent qu’ils ne peuvent pas supporter l’équipe de France de foot parce que les Français mangent du porc. J’ai donc adopté une méthode, très politiquement incorrecte, mais qui fonctionne…
Laquelle ?
Quand un enfant me dit qu’il n’est pas français, je l’emmène dans mon bureau et je lui montre son acte de naissance. Je lui explique que nous avons tous des origines diverses – turque, algérienne, allemande… –, que c’est pour cela qu’il parle arabe (c’est une langue), mais qu’il est bien français et qu’il ne mange pas de porc parce qu’il est de religion musulmane.
Pour eux, c’est une découverte ! Lorsqu’une petite fille de CE1 est tombée dans les pommes parce qu’elle voulait faire le ramadan, j’ai convoqué sa mère et je lui ai fait un sermon : je lui ai clairement dit qu’en respectant le choix de sa fille avant la puberté elle la mettait en danger.
Ma hiérarchie serait horrifiée si elle l’apprenait, car je suis sortie de mon rôle… Mais je considère que c’est mon devoir. Nous avons fait une erreur terrible en considérant que la laïcité, à l’école, consistait à ne pas parler de religion.
On renforce les communautarismes ! Au contraire, il faut en parler, briser les tabous. Mon inspectrice s’est décomposée quand je lui ai expliqué cela. La hiérarchie a peur d’avoir des problèmes, de la presse…