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david MIEGE
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10 décembre 2020 12:44

« Depuis des mois, je dois me taire, je dois courber l’échine pour protéger ma famille et permettre à Mila de rester à l’école. En janvier dernier, Mila qui en avait assez de se faire insulter au nom d’Allah, a répliqué ; depuis, une partie de la population s’est acharnée sur elle, une autre partie a fait comme depuis 30 ans, elle a appliqué le « oui mais ». Un certain nombre de républicains, heureusement, nous soutiennent au quotidien, car sans eux nous serions au fond du trou.

Notre fille, pourtant victime, a été de fait conduite à quitter son lycée, alors même qu’elle n’a fait qu’exercer son droit de critique d’une religion, comme a pu le constater le Procureur de Vienne (quelques jours après la vidéo du 18 janvier). Ainsi, c’est la victime qui était condamnée.

M. Blanquer (ministre de l’éducation nationale), Mme Schiappa (alors secrétaire d’État à l’égalité entre les hommes et les femmes) et bien d’autres ont essayé de nous aider à trouver une solution pour rescolariser Mila. En début d’année, une partie de l’Éducation Nationale a mis l’affaire Mila sous le tapis ; aucun élève de son ancien établissement, dont certains avaient pourtant été identifiés suite à des menaces, n’a jamais été sanctionné. Nous avions été contactés par d’anciens parents d’élèves qui avaient dû, eux aussi, retirer leurs enfants de ce lycée pour des raisons similaires ; comme beaucoup d’établissements en France, le lycée Léonard de Vinci de Villefontaine (où Mila était scolarisée) a occulté les problèmes pour ne pas faire de vagues.

L’internat militaire dans lequel Mila a finalement été accueillie bon gré mal gré, lui a imposé depuis le début une ligne de conduite impossible à tenir. L’ancien colonel en responsabilité nous avait expliqué que la présence de Mila sur le site représentait un risque pour les autres élèves ; sachant que sa présence ne resterait pas longtemps secrète, il souhaitait que Mila ne communique plus sur les réseaux sociaux. Pour reprendre l’expression d’une ancienne ministre, Laurence Rossignol, « C’est comme si on demandait à quelqu’un qui s’est fait agresser dans la rue de ne plus jamais sortir ». Les réseaux sociaux sont pour les jeunes d’aujourd’hui, ce que le téléphone était pour nous il y a 30 ans, et même bien plus.

Depuis le début, à chaque publication de Mila sur les réseaux, même insignifiante, nous avions le plaisir d’être appelés par le colonel pour nous faire la morale et le Capitaine responsable de l’internat a dit à plusieurs reprises à Mila que ses parents étaient irresponsables de la laisser encore communiquer sur les réseaux sociaux. Les responsables savaient tous que beaucoup d’élèves avaient communiqué sur la présence de Mila au sein de cet établissement mais malgré tout, notre fille a fait l’objet d’une pression incroyable, et elle s’est petit à petit crispée au point que sa vie dans cet établissement est devenue une contrainte.

Pour des raisons de santé (opération bénigne), Mila a dû rester à son domicile quelques semaines et ses réseaux sociaux ont continué à être surveillés par son école. Dix jours après un live et quatre jours avant son retour au lycée, le colonel a demandé à nous rencontrer en présence de membres de la direction du lycée et du professeur principal, pour parler sécurité ; il nous a annoncé que Mila avait prononcé le nom de l’établissement dans un live (une vingtaine de personnes assistaient à ce live). En réalité, un élève de son internat était présent dans le live, et Mila lui a demandé s’il était toujours dans ce lycée. Comprenant sa gaffe, elle a rapidement changé de sujet. Mais le prétexte était tout trouvé pour évincer Mila, au motif qu’elle mettait en danger tout l’établissement. Le Colonel a reconnu que Mila n’avait pas fait cela intentionnellement, mais il a maintenu qu’elle devait rester à la maison en suivant sa scolarité à distance.

« Ce constat est pour nous un film d’horreur »

Voilà comment on s’est débarrassé de Mila au premier prétexte trouvé. Voilà qu’une victime de menaces de mort se voit exclue de son lycée en France en 2020 pour avoir commis le crime de mentionner son nom dans une conversation privée épiée par des militaires qui ne veulent plus assumer le risque de l’accueillir et de la protéger. Ce constat est pour nous un film d’horreur. Si l’armée ne peut pas protéger Mila et lui permettre de poursuivre sa scolarité, que pourrions-nous faire, nous ses parents, pour la protéger ?

J’ai signifié au Colonel que l’hypocrisie s’arrêtait là et que je ne souhaitais plus discuter, qu’ils avaient trouvé une raison pour se donner bonne conscience, que je leur souhaitais de bien dormir.

Je suppose que la pression des parents d’élèves, de certaines personnes du corps enseignant, a été trop forte, mais je suis effondré par autant de démission et de lâcheté. Après l’Éducation Nationale, c’est maintenant l’armée qui renonce à scolariser une gamine de 17 ans. Trop dangereux, trop de contraintes.

Ce ne sont pas nos concitoyens qui sont dénués de courage mais encore une fois, comme depuis trop longtemps, les institutions, armée comprise. Alors à quoi bon continuer à se battre si on en est arrivé à ce point de renoncement ?

J’ai beaucoup de respect pour les militaires en opération, mais au bal des planqués, rien n’est plus important pour certains, apparemment, que de retrouver leur tranquillité.

Depuis l’assassinat du Professeur Samuel Paty, une partie de la classe politique se réveille, beaucoup d’autres souhaitent remettre la poussière sous le tapis pour ne pas éclabousser leurs certitudes et leur bien-pensance.

Quoi qu’elle fasse, Mila sera en danger. Elle passe des mois à publier des choses futiles sur les réseaux sociaux, à parler de maquillage et de chansons… et en permanence des milliers de personnes qui ne vivent que dans la haine la menacent, l’insultent et quand, après quelques mois sans réaction de sa part, elle s’autorise une riposte, les hypocrites disent qu’elle rallume le feu.

Et on nous explique que cette jeune fille qui n’a strictement rien fait d’illégal devrait se taire à jamais même pour parler de maquillage ou pour chanter. Mais de quel droit et au nom de quoi ? Faut-il aussi qu’elle s’interdise de sortir de chez elle, ce qui est à peu près le cas, sinon elle serait en faute ? Faut-il qu’elle change de pays pour que tout le monde ait bonne conscience ? Nous n’en avons pas la possibilité sinon nous l’envisagerions. Pour elle en tout cas la scolarité, c’est fini. On ne la traitera plus comme une bête de foire dont on ne cherche qu’à se débarrasser.

Mila est partie vers de nouveaux horizons pour sa protection mais elle sera continuellement en danger et elle ne se soumettra jamais, contrairement à vous, Colonel et à tant d’autres. »

www.lepoint.fr

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