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28 janvier 2021 18:33

Le troisième confinement est sur toutes les lèvres. Les risques de désobéissance civile inquiètent l’exécutif. La «rébellion» du restaurateur de Nice pourrait être la première d’une longue série. Et si des Français décidaient de ne pas suivre le jeu sanitaire, que risqueraient-ils? Éléments de réponse avec l’avocat pénaliste Grégoire Belmont.

Une troisième période d’assignation à résidence se rapproche à grand pas avec son lot de fermetures obligatoires. Certains n’entendent pas se plier à ces mesures. Hier à Nice, le restaurant Le Poppies ouvrait ses portes, assurant le service à 150 personnes. Appelant à la «désobéissance civile», le gérant de l’établissement invitait «tous les restaurateurs de France à faire pareil». Le soir même, il était convoqué au commissariat et placé en garde à vue. Le risque de voir une partie de la population ne pas se plier à un nouveau confinement est pris très au sérieux au plus haut niveau de l’État, selon Le Monde citant l’entourage de Jean Castex.

​À la sortie du Conseil de défense sanitaire ce mercredi, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal déclarait que «différents scénarios» étaient à l’étude. Ajoutant qu’un «confinement très serré» en faisait partie. Le pouvoir exécutif scruterait avec attention les courbes depuis l’instauration du couvre-feu à 18 heures avant de prendre toute décision plus restrictive. Or le maintien de cette dernière mesure est jugé par l’exécutif «peu probable» en raison d’«une efficacité relative» sur la propagation du virus. Ce lundi, LCI rapportait les propos d’un conseiller de l’exécutif selon lequel «la vraie hésitation» du gouvernement à serrer la vis était «liée à l’acceptabilité».

Deuxième nuit d'émeutes aux Pays-Bas après l'imposition d'un couvre-feu
© AFP 2020 MARCO DE SWART
Deuxième nuit d'émeutes aux Pays-Bas après l'imposition d'un couvre-feu

Entendre par là qu’Emmanuel Macron prendrait surtout son temps pour évaluer le degré d’opposition du peuple français à une nouvelle mise sous cloche. Notamment depuis les appels à la désobéissance civile sur les réseaux sociaux et l’actualité internationale marquée par des émeutes anti-couvre-feu aux Pays-Bas.

Six mois de prison et 3.750 euros d’amende

En France, parmi les appels les plus ostensibles à la désobéissance civile, voire à l’insurrection, on trouve celui de Francis Lalanne sur France Soir. Dans sa tribune, celui qui avait mené une liste créditée de 0,6% aux européennes de 2019 appelait l’armée à «mettre fin à l'exercice du mandat de l'actuel président de la République». Le chanteur est depuis revenu sur ses déclarations, prétextant avoir été mal lu.

«Une fois les auteurs du coup d'État mis à pied, j'appelle l'armée française à les faire comparaître devant un tribunal constitué en Haute Cour, pour qu'ils aient à répondre du chef de haute trahison», déclarait Francis Lalanne.

Il existe une infraction lorsqu’on appelle l’armée à se soulever dans des circonstances menaçant la Défense nationale, nous précise Grégoire Belmont, avocat au barreau de Paris et membre du Cercle Droit et Liberté. Prévue par l’article 413-3 du Code pénal, elle est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

Une qualification très rarement utilisée néanmoins. Dans le cas de Francis Lalanne, elle serait «disproportionnée, maladroite et difficilement tenable sur le plan légal», selon notre pénaliste. Qu’en est-il des autres appels à la désobéissance civile?

«Les obligations du décret du 29 octobre 2020, qui régit le couvre-feu et l’état d’urgence sanitaire, sont protégées seulement par des contraventions, explique Grégoire Belmont au micro de Sputnik. Néanmoins, l’article L3136-1 du Code de la santé publique a institué un nouveau délit qui est une monstruosité juridique.» 

Validé par le Conseil constitutionnel en juin 2020, ce délit de non-respect du confinement avait fait couler beaucoup d’encre. Lorsqu’un individu a déjà été verbalisé trois fois pour cette infraction en moins de trente jours, il encourt jusqu’à six mois de prison et 3.750 euros d’amende. Un moyen abusif, selon Me Belmont, d’embastiller une personne «pour le simple fait d’avoir reçu des verbalisations», alors que celles-ci peuvent être «abusives ou contestables».

Que risquent les «Gaulois réfractaires»?

Qu’en est-il de l’argument sanitaire? Les rebelles pourraient-ils se voir accusés d’avoir concouru à la circulation du virus et donc à la «mise en danger délibérée d’autrui»? Là aussi, ce serait «une distorsion abusive de l’article 223-1 du Code pénal», estime Grégoire Belmont. Selon lui, «celui qui ouvre un restaurant serait, certes, dans l’illégalité», mais il n’entraînerait pas pour autant «un risque immédiat de mort ou de blessures graves pour ses clients».

Si certains établissements interdits ouvraient, le préfet pourrait lui aussi avoir recours à des sanctions administratives, comme des fermetures d’établissement. Mais il serait de peu d’incidence de fermer un établissement déjà bouclé par décret. La fermeture administrative pourrait de surcroît être contestée devant la justice.

Notre interlocuteur prend soin de préciser qu’il s’agit là de réponses légales face à des infractions individuelles. Celles-ci ne présagent pas la réponse politique que pourrait apporter le gouvernement face à une désobéissance civile généralisée.

​Car l’opposition au reconfinement monte dans le pays. Un sondage réalisé par l'institut Elabe pour BFM TV révèle que 52% des Français seraient «défavorables à un nouveau confinement national strict sur le modèle de celui de mars dernier». Une lente dégradation puisque le premier confinement aurait emporté l’adhésion de 93% des Français et 67% jugeraient favorable la mise en place du deuxième. Combien iront jusqu’à désobéir civilement? Et sous quelle forme? Certains ont déjà franchi le pas.

«Je m’y plierai, mais sans le soutenir»

Sur les réseaux sociaux le hashtag #JeNeMeConfineraiPas s’est répandu comme une traînée de poudre. Derrière cette initiative, on trouve un médecin généraliste des Yvelines, Fabien Quedeville. Dans une tribune publiée par le média en ligne Baslesmasques, il appelait à «sortir de la logique infernale des confinements à répétition».

​Un peu dépassé par le succès de son initiative, il a tenu à préciser qu’il n’était pas question «d’un appel à la désobéissance civile». Mais simplement de provoquer «une prise de conscience urgente» au regard des dégâts attendus «d’un éventuel confinement».

«Sans parler des personnes déjà fragilisées, ce que je vois au quotidien ce sont des gens qui allaient bien jusqu’ici et qui présentent sans raison des troubles anxio-dépressifs, déplore-t-il au micro de Sputnik. J’ai donc voulu alerter, de façon peut-être un peu provocatrice. Mais il est urgent de prendre en compte tous ces effets négatifs. Sinon, nous courons à la catastrophe!»

Et notre interlocuteur de préciser que, en tant que «républicain» et «démocrate» qui a «toujours respecté la loi», il se confinera si la mesure est annoncée. «Je m’y plierai, mais je ne la soutiendrai pas», précise-t-il. Les appels à désobéir, s’ils se multiplient, ne datent néanmoins pas d’hier.

La goutte d’eau qui ferait déborder le vase

Qu’il s’agisse de personnalités médiatiques comme Ivan Rioufol appelant, «presque», à une «insurrection civique». Ou bien de Didier Maïsto qui déclarait qu’individuellement il ne se confinerait pas. «Je me mettrai hors-la-loi. Je l'assumerai. Je ferai ma vie», déclarait-il sur le plateau de Jean-Marc Morandini. Avant d’annoncer au cours d’une interview pour le média Valeurs Actuelles: «Le troisième confinement serait la goutte d’eau qui ferait déborder le vase.» Les politiques sont de leur côté assez rares à avoir appeler à se mettre hors-la-loi. Jean-Frédéric Poisson déclarait, en revanche, ouvertement le 15 janvier sur Sputnik être «favorable à une désobéissance civile» en raison de «l’absurdité» des mesures du gouvernement.

Du côté des professionnels les plus touchés par les dispositions sanitaires, les restaurateurs, eux aussi, commencent à faire du bruit. L’appel du chef cuisinier Stéphane Turillon à rouvrir le 1er février a circulé de manière virale sur le Net. Certains ont d’ailleurs fixé au lundi 1er février la date de «la journée de la désobéissance civile».

C’est dans ce mouvement de contestation que s’inscrit l’action du restaurateur de Nice placé en garde à vue. «Je n’ai pas eu l’autorisation, mais je la prends», s’est-il justifié. Selon les dernières informations, sa mise en garde à vue ne serait cependant pas liée au non-respect des décrets anti-covid 19. Le gérant de l’établissement employait un étranger en situation irrégulière.

Reste que la question de la désobéissance civile se heurte à un cadre juridique français assez paradoxal. Si la loi proscrit la révolte violente, le droit de résister à l’oppression, justement invoqué par Jean-Frédéric Poisson, est cité dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au même titre que les droits de propriété, de sûreté et de liberté.

Cette déclaration fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité (l’ensemble des textes et principes qui fixent le cadre où doivent s’inscrire les lois). Pour Grégoire Belmont, la désobéissance civile «paraît donc justifiée sur le plan constitutionnel en cas d’atteinte grave au bien commun ou aux besoins les plus fondamentaux des Français». Comme ceux de travailler et de gagner son pain, «quoiqu’elle soit, bien sûr, interdite par le droit positif».

 

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