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david MIEGE
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2 janvier 2021 19:13

Il n’y a pas que la fraude fiscale. Depuis plusieurs années, Charles Prats dénonce les abus qui touchent aussi le versement des prestations sociales. Et qui coûtent très cher aux finances publiques.

Ancien inspecteur des douanes, le magistrat (il est actuellement vice-président du tribunal de Paris en charge des libertés et de la détention) connaît bien le sujet pour avoir notamment été, entre 2008 et 2012, l’un des acteurs majeurs de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, au ministère du Budget. Il y a même consacré un livre, Cartel des Fraudes, publié récemment chez Ring. Un ouvrage qui sonne comme une alerte.

Vous parlez dans votre livre de 5 millions de personnes, de fantômes, qui perçoivent injustement les prestations sociales. Comment arrivez-vous à ce chiffre ?
- La polémique née de mes révélations fin 2018 sur la fraude documentaire des "gens nés à l’étranger" a entraîné plusieurs investigations parlementaires. Dans notre pays de 67 millions d’habitants, il y a 73,7 millions de personnes bénéficiant de nos prestations sociales… En comptant les retraités résidant à l’étranger et les diverses catégories d’expatriés recensés par le ministère des Affaires sociales, cela fait 4,9 millions de "fantômes gloutons" qui passent à la caisse alors qu’ils ne sont pas censés exister, dont la moitié nés à l’étranger. Un enfant de CM2 comprendrait le gros souci ! Le ministère a reconnu du bout des lèvres 2,4 millions de cas problématiques fin juillet. Un très gros souci, peut-être encore plus massif, car un rapport de la Cour des comptes est venu en septembre nous apprendre que nous avions en France en réalité 75,3 millions d’assurés sociaux…

Vous établissez un inventaire de cette fraude. Sans tout dévoiler de l’ouvrage, pouvez-vous nous rappeler ses principales formes ?
- Le principal problème, gigantesque, est celui de ces millions de fantômes bénéficiaires. Mais il ne faut pas oublier tous les types de fraudes aux prestations : faux documents pour se créer des fausses identités (un tiers des 21 millions de numéros de Sécu attribués aux personnes nées à l’étranger), fraudes des professionnels de santé, fraudes à la résidence (les gens prétendent être en France pour bénéficier de prestations auxquelles ils n’auraient pas droit à l’étranger), personnes décédées continuant à toucher des prestations (j’identifie ainsi des assurés "en vie" du régime des armées âgés de 128 ans !), détournements de l’aide médicale de l’État, l’AME, pour faire du trafic de médicaments...

À l’heure du numérique, comment les fraudeurs déjouent-ils les radars de l’État ?
- C’est une vraie question. La fraude documentaire est la "mère de toutes les fraudes". Si dès le départ le tricheur produit des faux documents qui ne sont pas détectés par les contrôles, le système devient "open bar" malgré les divers croisements de fichiers. Par ailleurs, les contrôles automatisés semblent ne pas être réglés correctement. La Cour des comptes relève ainsi, à partir des données aux mains de l’assurance maladie, que 13% des infirmiers libéraux, 5% des kinésithérapeutes et 3% des médecins libéraux auraient une activité frauduleuse au regard du nombre d’actes réellement faisables par ces professionnels. Si la Cour arrive à chiffrer ces taux, on peut s’interroger sur l’absence de
réaction déterminée des organismes de sécurité sociale pour mettre fin à ces abus.

Vous montrez que cette fraude ne sert pas que l’enrichissement personnel. Elle poursuit parfois une cause bien plus inquiétante...
- Malheureusement, la fraude sociale sert parfois des objectifs destructeurs. Ainsi, le terrorisme islamiste se nourrit-il, en France comme ailleurs, du détournement des aides sociales. C’est un sujet connu qui a été mis en lumière depuis plusieurs années. Je démontre dans le livre comment un fondateur belge de l’État islamique en Syrie est venu escroquer la France avec des faux papiers.
Ces fraudes financent aussi, par exemple, le trafic de stupéfiants comme dans le cas du Subutex, considéré comme médicament en France mais comme drogue illicite dans de nombreux pays. On découvre que la moitié de ce produit diffusé en France partirait sur le marché illégal. C’est-à-dire des centaines de millions d’euros de bénéfices pour les cartels de trafiquants qui se fournissent gratuitement via la Sécu !

Tout cela représente au moins 50 milliards abandonnés par l’État. Pourquoi ce dernier n’est-il pas plus attentif dans ce domaine ?
- Dès qu’un décideur parle de lutter contre la fraude aux prestations sociales, il est accusé de vouloir "faire la chasse aux pauvres et aux étrangers". Cela tétanise les politiques et les hauts fonctionnaires. On leur reproche de faire "le jeu de l’extrême-droite". On leur dit de plutôt lutter contre la fraude fiscale. C’est assez inquiétant de constater que pas mal de commentateurs préfèreraient fermer les yeux sur les fraudes pillant la masse des 787 milliards d’euros annuels de prestations sociales versées dans notre pays. Je ne suis pas sûr que ce soit du goût des contribuables, auxquels on demande toujours plus, ni des agents des services publics, qui sont victimes depuis des années des restrictions budgétaires…

Des solutions pour en finir avec la fraude sont-elles envisageables ?
- J’en propose deux qui permettraient, aux côtés de contrôles renforcés, d’améliorer la situation. Tout d’abord passer à l’identité sociale biométrique en certifiant à nouveau tous les numéros de Sécurité sociale des bénéficiaires. Ainsi, on détecterait et supprimerait les identités multiples, on vérifierait que les gens "existent" réellement en France et on éviterait, par exemple, qu’une même carte Vitale ne serve à plusieurs individus.
Ensuite, il faut transférer la compétence de lutte contre la fraude des organismes sociaux vers un véritable "FBI de lutte contre la fraude sociale". Chasser les fraudeurs, ce n’est pas le même métier que distribuer des aides et accompagner les personnes.

Quel est l’accueil reçu par votre livre et où se situe-t-il en termes de ventes ?
- Le Cartel des Fraudes a été très bien accueilli par le public, la presse et les parlementaires. Et ce, malgré des bizarreries car, de manière assez inexplicable, il a longtemps été absent des présentoirs dans les grandes librairies. Encore aujourd’hui, il est parfois absent des rayons alors qu’il est en tête des ventes et les lecteurs doivent le demander aux libraires qui vont le chercher en réserve. À croire qu’il faut tout faire pour éviter que trop de lecteurs ne lisent ce qu’il contient… Ce livre dérange. Raison de plus pour le lire !

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