Le Sénat a refusé, début février, de voter les dispositions phares de la réforme des lois de bioéthique adoptées par l’Assemblée nationale. Le gouvernement se hâte de convoquer la commission mixte paritaire (le 17 février) alors que l’examen de textes importants a été repoussé en raison de la crise sanitaire. Mais quelle urgence si ce n’est de cacher aux Français le contenu exact et la portée du texte ?
Le père disparaît de la structure de la filiation
Les versions successivement débattues devant les assemblées, concernant « l’AMP pour toutes », ne se sont pas limitées, contrairement à ce qui était affiché, à réformer l’assistance médicale à la procréation. Le projet voté en seconde lecture par l’Assemblée nationale décrète le caractère facultatif de l’ascendance paternelle dans la filiation et promeut des constructions juridiques nouvelles permettant de fonder un lien filiatif à l’égard d’une femme qui n’a pas accouché. Autrement dit, le projet fait disparaître le père de la structure, - jusqu’ici intangible - de la filiation.
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Lorsque l’AMP est entrée dans notre droit (en 1994), les progrès scientifiques ont été encadrés dans le but de ne pas supprimer la double ascendance maternelle et paternelle de l’enfant lorsque la mise en œuvre de la technique nécessite le recours à un donneur de gamètes.
Le projet va beaucoup plus loin : il introduit une filiation sans ascendance paternelle. Il existe bien sûr des situations dans lesquelles un enfant est privé de son père ou (et) de sa mère, mais l’enfant conserve alors la possibilité de faire établir juridiquement le lien qui lui manque, précisément parce que la filiation est structurellement double : père-mère.
La maternité dissociée de l’accouchement
Le projet dissocie la maternité de l’accouchement, ce qui n’est pas rien, pour instituer une seconde maternité qui se substitue à la paternité. Ce faisant, le projet bioéthique réalise une réforme en profondeur de la filiation.
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Ces répercussions générales sur la filiation ont été expressément relevées par le Conseil d’État. Le politique rassure en affirmant que satisfaire les revendications individuelles ne concerne pas le droit pour tous, mais cela n’est pas vrai.
La portée du texte voté par l’Assemblée nationale - mais rejeté par le Sénat - ne se limite pas à « affaiblir la paternité » ou à permettre de l’écarter dans l’AMP : le projet modifie la définition de la filiation, les critères permettant son établissement, au point que l’édifice entier se trouve impacté.
Cas particuliers et intérêt général
La question à résoudre est : peut-on réformer le droit commun de la filiation et déstructurer complètement la filiation en général pour traiter des situations particulières ? Les situations particulières ne peuvent être correctement traitées qu’au cas par cas et en envisageant la solution la meilleure (la moins mauvaise le plus souvent) dans l’intérêt de la famille et de l’enfant.
La règle générale a un autre rôle : elle est de structurer la société et de construire la filiation de tous les enfants. La portée de la loi envisagée consiste à déstructurer ce qui avait été construit.
Loi de bioéthique, la poussée libérale
Au-delà du juridique, la logique du texte ôte par essence leur personnalité au père et à la mère. Cela explique que différentes propositions récentes visent à supprimer les mots père et mère des codes en vigueur. Les répercussions d’une telle réforme sur la société ne doivent pas être sous-estimées.
Le fait que le Sénat n’ait pas voté l’article 1er du projet de loi bioéthique représente un tournant clé. Il ne serait pas raisonnable de hâter la procédure parlementaire pour éviter d’y réfléchir. Ce serait même irresponsable.
Le flou entretenu autour de ce texte au motif d’une soi-disant haute technicité du sujet a d’ailleurs permis aux parlementaires d’y introduire des « avancées » gravement attentatoires à la dignité humaine, par exemple la création de chimères homme-animal. Merci aux sénateurs d’avoir tiré la sonnette d’alarme.