Parmi les mesures d'aide aux entreprises face à la crise sanitaire, celle-ci est passée un peu inaperçue, mais elle a bouleversé les règles du jeu. Grâce à "l'ordonnance Covid", des patrons en dépôt de bilan ont pu racheter leur société en effaçant leurs dettes... Une aubaine pour faire oublier une mauvaise gestion ? Un extrait de "Complément d'enquête" sur la reprise d'Orchestra par son ancien PDG.
Fonds de solidarité, dispositif de chômage partiel... les aides mises en place par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire ont coûté cher aux finances publiques – d'autant plus qu'elles ont été détournées par toutes sortes de fraudeurs. Cet extrait de "Complément d'enquête" s'intéresse à une autre mesure, beaucoup plus discrète, qui a bouleversé les règles du jeu. Elle a été décidée en Conseil des ministres en mai 2020.
On l'appelle "l'ordonnance Covid", et c'est une petite révolution. Elle autorise les patrons en dépôt de bilan à racheter leur société en effaçant leurs dettes – si leurs difficultés sont une conséquence de l'épidémie, et à condition de maintenir les emplois. Certains en auraient-ils profité pour faire oublier leur mauvaise gestion ?
Dans le sud de la France, à Montpellier, l'un des premiers chefs d'entreprise à avoir bénéficié de cette ordonnance a concentré de nombreuses critiques. Pierre Mestre est le PDG d'Orchestra, une chaîne de magasins spécialisés dans la puériculture et les vêtements pour enfants. En 2020, sa société, qui était l'un des leaders sur son secteur, se retrouve en redressement judiciaire.
"Le Covid, pour lui, c'est une embellie" (un responsable syndical)
Face à un autre candidat au rachat, un groupe saoudien, Pierre Mestre l'emporte – grâce à l'ordonnance Covid, qui tire un trait sur 650 millions d'euros de dettes. C'est le montant retenu par le tribunal, et contesté par le PDG. Lorsque celui-ci annonce la fermeture de 50 magasins en France et le licenciement de 300 salariés, les syndicats sont furieux. Les fournisseurs aussi.
"Complément d'enquête" s'est procuré un document du tribunal de commerce : une liste de 2 000 créanciers (Trésor public, usines de textile, PME, banques...) qui, pour la plupart, ne seront jamais payés. Ainsi, l'agence de marketing digital qui travaillait pour Orchestra a dû faire une croix sur 1,7 million d'euros, et s'est retrouvée contrainte de licencier dix employés, selon son dirigeant.
Comme "un chauffard à qui on donnerait les clés d'une voiture neuve" (un fournisseur)
Ulcéré de s'être "fait mener en bateau", le directeur de l'agence a contesté la décision de justice qui a permis à Pierre Mestre de racheter sa société, mais sans succès. "Je souhaitais que, sur un plan déontologique, ça ne soit pas celui qui est le fauteur de troubles qui reparte sans avoir de prix à payer de tout ça…", explique-t-il aux journalistes.
"En fait, conclut Grégory Pascal avec amertume, c'est l'histoire de chauffards qui roulent à fond sur l'autoroute, pendant des mois, sans assurance, qui blessent des milliers de personnes sur la route, qu'un jour on arrête… Et ce jour-là, parce qu'il y a l'ordonnance Covid, on leur dit : 'Toutes les personnes qui sont blessées, c'est pas grave, elles vont se démerder, et puis vous, voilà les clés d'une voiture neuve, parce que vous avez un peu cabossé la vôtre en blessant tout le monde autour. Merci, combien vous nous devez ? Zéro'... puisque M. Mestre a repris sa boîte 15 millions d'euros, et en laissant 700 millions d'euros de dettes à côté."
Extrait de "Quoi qu'il en coûte ? Enquête sur les escrocs du Covid", un document à voir dans "Complément d'enquête" le 8 avril 2021.