«L’intérêt de Navalny est de se faire mousser auprès des Occidentaux, de manière à conserver leur intérêt. C’est la seule manière qu’il ait d’exister. En Russie, il ne représente rien. Encore moins maintenant. Si on lui enlève sa notoriété en Occident, il disparaît», analyse auprès de Sputnik le journaliste et écrivain Pierre Lorrain, spécialiste de la Russie et de l’URSS.
Se faire valoir auprès des Occidentaux? C’est chose faite. Ainsi, Jean-Yves Le Drian n’a pas manqué d’épingler la Russie le 22 avril. Interrogé sur ce qu’il adviendra si Alexeï Navalny meurt en détention, le ministre a déclaré que l’UE «prendra les sanctions nécessaires» et «mettra la responsabilité de ce drame sur monsieur Poutine et les autorités russes.»
Le chef de la diplomatie française a rappelé les sanctions prises contre la Russie par Bruxelles à la suite du prétendu empoisonnement au Novitchok de Navalny et après la vague d’arrestation qui a ponctué les manifestations de janvier.
Pour Jean-Yves Le Drian, Moscou s’inscrit dans une «triple dérive». Le pensionnaire accuse la Russie «d’ingérence», jugeant qu’elle «essaie de porter atteinte à nos modes de fonctionnement démocratiques».
Des titres à sensation
Mais les Occidentaux ne sont plus à une contradiction près. Ce n’est pas les médias mainstream qui démontreront le contraire. À en croire ces derniers, le blogueur russe serait depuis plusieurs jours «en grave danger», recevant des «traitements qui s’apparentent à de la torture». Son état nécessiterait même qu’il soit «évacué à l’étranger, selon l’ONU».
Selon l’ONU? Plus précisément selon l’avis d’«experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, mais qui ne s’expriment pas en son nom».
Bref, les titres à sensation s’accompagnent d’un traitement racoleur, concernant l’état de santé d’Alexeï Navalny, qui a entamé une grève de la faim le 31 mars afin de protester contre ses conditions de détention. «Il est en prison, pas dans un hôtel cinq étoiles!» insiste Pierre Lorrain, qui souligne au passage que sa prison est à 100 kilomètres de la capitale et non à des milliers de kilomètres au fin fond de la Sibérie. Pour le journaliste, l’ire occidentale s’inscrit dans «une offensive générale de propagande, qui vient de loin et qui ne s’arrêtera pas».
Même son de cloche du côté de Nikola Mirkovic, essayiste et président de l'association Ouest-Est, qui vient en aide aux victimes de la guerre du Donbass. Il perçoit dans ce déchaînement politico-médiatique des Occidentaux à propos de Navalny une «campagne de propagande».
Le discours «que l’on tient lorsqu’on entre en période de guerre»?
Campagne qui elle-même s’inscrit dans le contexte d’agressions lancé à l’Ouest contre la Russie depuis l’entrée en fonctions de l’Administration Biden. Renvoi de diplomates russes par la République tchèque, regain de pressions sur la Syrie et de tensions en Ukraine, sans oublier une éventuelle tentative d’assassinat contre le Président biélorusse: pour Nikola Mirkovic, cette escalade et la couverture médiatique de l’affaire Navalny en Occident ne présageraient rien de constructif. Les propos de Le Drian jetant de l’huile sur le feu.
«Jusqu’ici, les attaques contre la Russie étaient plus sibyllines, flirtant avec la vérité. Là on est dans des mensonges flagrants colportés par les médias dominants. C’est inquiétant, car c’est ce genre de discours que l’on tient à l’orée d’une guerre. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage!»
Dans la ligne de mire du cofondateur de Solidarité Kosovo, le manque de nuance avec lequel la presse française répercute les propos des plus proches partisans d’Alexeï Navalny. On pense notamment aux assertions des médecins personnels du candidat malheureux à la mairie de Moscou. Leurs demandes de voir leur patient, qui «pourrait faire un arrêt cardiaque "d’une minute à l’autre"», auraient été «relayées […] par la terre entière».
À leur tête, Anastasia Vassilieva. La directrice de l'Alliance des médecins est reconnue depuis mars en Russie comme «agent de l’étranger». Une désignation qui concerne les ONG recevant des financement issus de l’étranger et qui se livrent à une «activité politique». Une désignation «infamante» en Russie, commentent la plupart des médias libéraux, qui au contraire semblent y voir un certificat de probité candide.
«C’est un peu téléphoné, ce sont toujours les mêmes qui, dans l’entourage de Navalny, lancent les rumeurs. Ce sont les mêmes qui ont découvert les objets empoisonnés au Novitchok, sans être infectés», avance, de son côté, l’essayiste Pierre Lorrain.Celui-ci tient à rappeler au passage que, si Alexeï Navalny est en prison, c’est à la suite de la violation des termes de sa conditionnelle dans une affaire d’escroquerie. En l’occurrence, l’affaire Yves Rocher. Le groupe français avait porté plainte contre le chouchou des Occidentaux.
«Vous imaginez si, au moment des scandales Noir ou Balkany, les Chinois ou les Russes avaient protesté en disant que ce sont des procès politiques?» ironise Pierre Lorrain.
L’indignation sélective des Occidentaux
«Alexeï Navalny, on peut en penser ce qu’on veut, il n’est pas le principal opposant à Vladimir Poutine. Il est condamné pour des malversations. Julian Assange, lui, est en prison parce qu’il a dévoilé des coups tordus, des crimes de guerre, commis par des pays membres de l’OTAN. Il n’a trempé dans aucune malversation. Il n’est en prison que parce qu’il a exercé son métier de journaliste!» développe l’essayiste.Dès 2010, une série de documents classifiés américains mis en ligne sur le site de Julian Assange, Wikileaks, ont prouvé que les États-Unis et leurs alliés avaient commis des crimes de guerre en Afghanistan ainsi qu’en Irak.
En 2013, un informaticien travaillant pour les services de renseignement américains révèle à la presse mondiale l’existence d’un système d’espionnage global orchestré par Washington. Depuis, Edward Snowden encourt la détention à perpétuité dans son pays et vit réfugié en Russie.«Où sont les mots de Jean-Yves le Drian sur Julian Assange? Si l’Occident voulait être crédible, il appliquerait les mêmes mesures à tout le monde: on veut la libération de Navalny comme on veut celle d’Assange ou que les États-Unis accordent le pardon à Snowden.
Pourquoi les dissidents américains partent pour la Russie? Il faudrait peut-être qu’on se pose la question…» conclut Nikola Mircovic.source