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david MIEGE
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9 avril 2021 23:11

Il vivait avec la terre dans les tripes. Vincent Vuzé, 52 ans, en est mort. Au champ d’honneur des paysans dont il était l’un des éleveurs. C’était le 12 mars 2021 au « Courtioux », à Anché, dans cette ferme qu’il portait à bout de bras depuis 1989.

Quelques lignes noircies dans l’avis d’obsèques n’ont pas suffi. Pour sa maman, Monique. Pour sa femme, Cathy, effondrée. Pour ses enfants, Claire et Jean-Simon, sidérés. Pour le maire, en colère (lire ci-dessous). Et pour la société. Il faut en parler. Dire et répéter cette insupportable tragédie silencieuse qui ronge les campagnes françaises.

« Je lui en veux… mais je le comprends »« Ce n’est pas réel. Le mot suicide et papa, ça ne va pas ensemble. Le suicide des paysans, ce n’était pas un sujet tabou chez nous, souligne Claire, 23 ans. C’est papa aujourd’hui. Mais demain, ça peut être un autre. Je n’ai pas envie qu’il arrive la même chose. »

Elle est aide-soignante et ne comprend pas. Enfin si. Son papa avait fait une dépression en 2018. L’état de la ferme le souciait déjà. Et depuis « il ne supportait plus l’image de rejet » de l’agriculture dans la société.

« Je suis dans le déni total. Je refuse ce qui s’est passé, reconnaît Jean-Simon, son fils de 27 ans. Pendant trois ans, j’étais tous les jours avec mon père. C’était notre projet. Il ne m’a pas laissé le temps de prendre en main l’élevage. C’était sa décision. Je lui en veux… mais je le comprends. On fait le dos rond jusqu’au moment où ça craque… »

Autour de la nappe cirée, la plus en colère, c’est la maman de Vincent Vuzé, Monique, 74 ans. Elle a préparé un texte (lire ci-dessous). « Maintenant, c’est fini, on n’a plus le droit de ne rien dire. Les agriculteurs sont des taiseux. Il faut souffrir et ne rien dire ? Mais c’est de la maltraitance paysanne ! Si parler, ça en sauve au moins un… »
Les jours heureuxAlors parlons-en. Pour que la mort de Vincent Vuzé résonne dans les campagnes comme un signal d’alerte. Un de plus. Les jours heureux d’abord. Ceux où Claire partait rejoindre dans l’insouciance son papa dans les prés.

À la sortie de son service militaire, dans un régiment du train à La Rochelle, brevet de technicien agricole (BTA) en poche, Vincent Vuzé s’installe sur les terres de « Michel et Joseph ». Les premières charolaises arrivent. Les crédits aussi. Une grande stabulation pour protéger les bêtes.

« J’étais juste né, il y a la trace de mon pied dans le béton », rapporte Jean-Simon. On achète du foncier. Le troupeau grossit. Premier tracteur neuf en 1998, un M100 New Holland. Claire se rappelle : « À l’époque, nous n’habitions pas la ferme, on vivait dans le bourg à Champagné. Mais nos parents étaient heureux. »
La descente aux enfersPuis vient la chute des cours des céréales et des bovins après la crise de 2008. Et des charges en progression. Vincent Vuzé croit pourtant dans son modèle extensif. La polyculture (blé, colza, lin, triticale, maïs, tournesol, orge, pois) des 306 hectares (dont 160 de prairies) assure l’autonomie alimentaire de l’élevage.

Il y a bien « la récolte du siècle », comme dit Jean-Simon, en 2012. Des prix exceptionnels. Claire s’en souvient : « Papa m’avait dit : “ Tu te rends compte, c’est la première fois qu’il nous restera des sous pour nous ! ” »

Car depuis 2009, c’est le salaire d’aide-soignante de sa femme, Cathy, qui permet à la famille de vivre. Ça n’étonne plus personne en milieu rural. D’ailleurs, Jean-Simon n’a pas non plus de salaire depuis trois ans. « On le garde pour payer le fourrage. »
« Et quand on ne paye pas la MSA, c’est pire que tout... »Mais quel travailleur accepterait de travailler gratuitement ?
L’embellie de 2012, donc. Puis des prix qui s’effondrent l’année d’après. « Mais il fallait payer la MSA : 40.000 € d’un coup et une récolte à zéro, détaille le fils. Et quand on ne paye pas la MSA, c’est pire que tout… »

Les années noires se suivent. Une vaccination onéreuse du cheptel qu’ils n’auraient pas dû faire en 2015. Les aléas climatiques plombent les récoltes. « Mais toujours des sous à donner aux gens. »

Alors, le généreux Vincent Vuzé a commencé à broyer du noir. Lui, l’amoureux d’AC/DC, Rammstein et Supertramp, le féru de livres d’histoire, le bon vivant, génial bricoleur, conseiller municipal, bénévole à l’APE et footballeur des Montagnards à Champagné-Saint-Hilaire.
« Tête pleine et vide à la fois »Celui qu’on croyait fort et solide a craqué. Ça n’arrive pas qu’aux autres. Cette météo capricieuse, les dettes de la ferme, ses broutards label rouge mal rémunérés, l’absence de salaire, le manque de considération, les normes permanentes, la défiance des citoyens sur les pratiques agricoles… Et puis la solitude face aux éléments.

Tout simplement. « Une pression au quotidien… mais on sait qu’on ne peut pas faire plus », résume son fils. Le voilà désormais seul, le jeune, à gérer cette foutue pression.

Tout ça, Vincent Vuzé l’a dit avec ses mots dans une lettre laissée à ses proches : sa « tête pleine et vide à la fois » et « l’absence de reconnaissance ». Il ne supportait plus aussi « de se lever le matin pour se faire engueuler ».

douleur

« Cet agriculteur était mon fils »

Monique Vuzé (1), la maman de Vincent, nous a confié ce texte : « Cet homme, dans la force de l’âge, avait choisi ce si beau métier d’agriculteur. Mais le système a eu raison de son courage. Broyé, comme tant d’autres dans son cas, par toujours plus de normes, de contraintes, de paperasseries. Éleveur de surcroît, adorant ses vaches, se levant les nuits pour assurer un vêlage. M. Sarkozy disait “ travailler plus pour gagner plus ”. Dans le cas des éleveurs, c’est “ travailler plus pour gagner moins ”. Les agriculteurs sont des gens honnêtes, travailleurs, salis, harcelés, humiliés par une partie de nos concitoyens. Tous ces grands “ y’a qu’à faut qu’on ” ont-ils le droit de juger, de condamner, de clouer au pilori ceux qui les nourrissent. Ont-ils oublié que pour beaucoup d’entre eux, certains de leurs aïeux ont sué sang et eau pour leur assurer un avenir meilleur. Les paysans ne sont ni des assassins, ni des terroristes, cherchez l’erreur ! Devrons-nous, un jour, comme au Liban, voir les gens descendre dans la rue car ils ont faim ? J’ai tant de rancœur que mes mots ne sauraient apaiser ma douleur. Car cet agriculteur était mon fils, mon petit garçon. Dans le cœur d’une maman, un enfant, quel que soit son âge, reste son petit. »


(1) Monique et Jean-François Vuzé, aujourd’hui en retraite, étaient éleveurs à Champagné-Saint-Hilaire, de 1969 à 2011. Leurs cinq enfants travaillent tous dans le milieu agricole. Eux aussi ont vécu des événements traumatiques dans leur ferme, comme l’abattage de leur cheptel sur décision administrative (tuberculose bovine), en 1999, alors que leurs vaches n’étaient finalement pas infectées : « Je ne m’en suis jamais remise. »

colère

« C’est notre société qui l’a tué »

Gilles Bosseboeuf, maire de Champagné-Saint-Hilaire, est en colère depuis la mort de Vincent Vuzé. C’était « son bras droit » au conseil municipal de 2008 à 2020. « Il aimait sa commune, sa terre, les gens, ses animaux. Il n’a pas supporté la lourdeur de la machine administrative, il en est mort. Son suicide montre la détresse et la solitude engendrées par le travail dans ce rude métier mal reconnu, qu’est le métier d’agriculteur et d’éleveur. Ce n’était pas son choix de partir, c’est notre société qui l’a tué, j’espère que son message sera entendu. »

Le 25 mars 2021, le maire a envoyé un courrier aux représentants de l’État et aux élus. Un coup de gueule : « Comment pouvons-nous accepter que des tragédies comme celle-ci se jouent à répétition autour de nous sans qu’on s’en émeuve, mais surtout sans qu’on agisse sur les causes ? Mon combat pour la ruralité n’est pas un vain mot, il est réel, mais hélas, j’ai toujours l’impression que personne ne prend ses responsabilités… »

Dans sa commune aux 63 hameaux étalés sur 47 km2, dans lesquels il ne reste plus beaucoup d’agriculteurs, l’élu s’énerve. Contre l’absence de dialogue entre ruraux et urbains. Contre cette « politique agricole qui oublie les agriculteurs, et complètement les éleveurs ». Contre une « administration tatillonne » ; les banques « qui ne voient que leur propre intérêt » ; les « entreprises sans scrupule », les « politiques qui donnent une mauvaise image de cette profession » et une « politique centralisatrice, où les communes sont les oubliées ».

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