Free et plusieurs associations, dont La Quadrature du Net, reprochaient au gouvernement de ne pas vouloir se conformer à la jurisprudence européenne. Saisi il y a six ans, le Conseil d’Etat a estimé que la menace terroriste justifiait la conservation par les opérateurs télécoms des données de leurs clients.
La menace terroriste justifie bien la conservation par les opérateurs télécoms des données de leurs clients. Mais le gouvernement devra examiner régulièrement la réalité de cette menace. Et contrairement à aujourd’hui, les services de renseignement ne pourront utiliser ces données qu’après le feu vert contraignant d’une autorité indépendante.
C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’Etat mercredi, dans une décision de 40 pages très attendue puisqu’elle mettait en jeu – depuis six ans – les moyens d’action des services de renseignement. Il s’agissait aussi du plus grand dossier jamais porté par La Quadrature du Net. Défaite, l’association de défense des libertés a dénoncé une décision donnant un « blanc-seing » au gouvernement et aux renseignements. […]
Le Conseil d’État vient de rendre une décision qui restera une tache indélébile sur la plus haute juridiction administrative et sur la France. Au mépris le plus total du droit européen, il a refusé d’appliquer l’arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE) qui, en octobre 2020, estimait que tant le droit français du renseignement que l’obligation de conservation généralisée et indifférenciée de l’ensemble des données de connexion (IP, localisation, etc.) étaient contraires aux droits fondamentaux. Ce faisant, le Conseil d’État isole la France dans son Frexit sécuritaire et libère les renseignements français des principes de l’État de droit.
En apparence, la décision d’aujourd’hui conduit à l’annulation ou à l’abrogation de certains des décrets attaqués par La Quadrature du Net, FDN, la FFDN et Igwan.net, qui organisent une obligation de conserver de manière généralisée et indifférenciée les données de connexion (ce qui entoure une communication, comme la liste des numéros de téléphone appelés, les adresses IP, la géolocalisation, etc.).
Mais cette illusion est aussitôt dissipée par le Conseil d’État qui prescrit lui-même les correctifs superficiels qui permettront au gouvernement de maintenir sa surveillance de masse. À côté de cette fausse concession, il rejette purement et simplement le reste de nos arguments contre les services de renseignement.
Le Conseil d’État autorise la conservation généralisée des données de connexion en dehors des situations exceptionnelles d’état d’urgence sécuritaire, contrairement à ce qu’exigeait la Cour de justice de l’UE dans sa décision du 6 octobre 2020 contre la France.
Pour arriver à une conclusion aussi brutale, le Conseil d’État a réinterprété la notion de « sécurité nationale » pour l’étendre très largement au-delà de la lutte contre le terrorisme et y inclure par exemple l’espionnage économique, le trafic de stupéfiant ou l’organisation de manifestations non-déclarées.
Ainsi, il peut conclure que la sécurité nationale est systématiquement menacée, justifiant le contournement permanent des garanties protégeant les libertés fondamentales et ce même en dehors des périodes officielles d’état d’urgence, soumises à un contrôle démocratique (aussi théorique soit-il). […]