«Cette obscure clarté qui tombe des étoiles.» C’est un vers du Cid de Corneille que Philippe Chalmin et Yves Jégourel ont mis en exergue de la 35e édition du rapport CyclOpe sur les matières premières. Cette mouture redouble d’intérêt dans un contexte d’envolée du cours des matières premières.
Les cours se rapprochent même de ceux de 2008. Métaux, bois, céréales… le spectre des produits concernés est large. Au début du mois de mai, le prix de la tonne de cuivre a même dépassé les 10.000 dollars sur le London Metal Exchange. Quant à la tonne de minerai de fer, elle se négociait quelques jours plus tard à des prix records (230 dollars) sur le marché à terme de Singapour comme le souligne Le Monde qui rappelle que plusieurs expert ont alors parlé d’un «prix ridicule».
Le monstrueux appétit chinois
Même le prix du pétrole, qui a essuyé un recul en avril 2020, a connu une envolée d’environ 30% sur un an. Quant aux semi-conducteurs, essentiels à la fabrication de nombreux appareils électroniques et automobiles, ils font l’objet d’une pénurie qui, en plus de faire grimper les cours, a mis temporairement des usines à l’arrêt notamment en France et en Allemagne.
Ces hausses qui peuvent sembler un peu lointaines pour le consommateur ont une incidence bien réelle sur son pouvoir d’achat. Le 2 mai dernier, Capital notait: «Selon l'indice Bloomberg des prix des matières agricoles, les prix des céréales ont grimpé de 22% sur un an, au plus haut depuis 2016.» De quoi faire valser les étiquettes de nombreux produits alimentaires dans les grandes surfaces! Quant à la fédération des constructeurs des États-Unis, elle a prévenu que la réalisation d’une charpente de maison coûte désormais 36.000 dollars de plus, sachant que le coût du bois de construction a triplé au cours des douze derniers mois.
Les coupables sont nombreux. L’un se distingue particulièrement d’après le rapport CyclOpe pour qui «les marchés reflètent l’appétit insatiable de la Chine». Aujourd’hui, Pékin est le premier ou le deuxième importateur d’un grand nombre de matières premières. Prenons le cas des céréales. Les importations chinoises en la matière ont doublé en 2020 par rapport à l’année précédente. En cause? La reconstitution de ses élevages de porcs après l’abattage d’un nombre colossal d’animaux pour enrayer la peste porcine africaine.
Mais cet exemple fait office de cas particulier. La véritable raison est à chercher du côté des prouesses économiques de l’empire du Milieu. Pendant ce temps-là, les États-Unis subissaient un affaissement de 3,5% de leur produit intérieur brut (PIB) en 2020. Leur pire performance depuis 1946! La même année, la zone euro voyait son PIB s’effondrer de 6,8%. Toujours en 2020, la Chine faisait partie des très rares nations à dégager de la croissance: +2,3%. Il s’agissait certes de la pire performance en quarante-quatre ans, mais le sort de Pékin est tout de même plus enviable que celui de ses concurrents.
Le redressement économique chinois après cette année noire est encore plus spectaculaire. Pékin a enregistré une croissance hallucinante de 18,3% au premier trimestre! Le redémarrage en trombe du mastodonte économique intervient à un moment où les chaînes logistiques sont encore perturbées. Cette pression au niveau de la demande dope les cours des matières premières.
D’après le rapport CyclOpe, la pandémie de Covid-19 a, par exemple, provoqué une baisse de la demande de 5 à 10% des produits issus des secteurs miniers et agricoles. La courbe des prix a donc plongé au premier semestre 2020 puis elle a accompli «un rebond plus important que ce que l’on imaginait, qui se poursuit aujourd’hui», explique Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à l’université Paris-Dauphine, cité par Le Figaro.
La Chine étant actuellement l’économie la plus performante, elle exerce une forte pression sur la demande. Pékin est le premier importateur de minerais, de bois, de coton, de viande et se trouve en deuxième position pour le gaz naturel liquéfié. En avril, les importations chinoises sur un an ont connu un boom stratosphérique de 43,1% sur un an (221 milliards de dollars).
Le rôle des banques centrales
D’après le rapport codirigé par Philippe Chalmin et Yves Jégourel, Pékin est «le paradoxal gagnant tant économique que politique de cette période» de pandémie de Covid-19 pourtant née en Chine. «Elle creuse l’écart avec le reste du monde et en particulier avec l’Europe», assure le rapport qui ajoute que la Chine a «tourné la page de la pandémie et laisse sur place le reste du monde».
L'OCDE prévoit une croissance de 7,8% du PIB chinois en 2021. C’est sensiblement plus que les États-Unis (+6,5%) pourtant portés par le plan de Joe Biden d’un montant de 1.900 milliards de dollars. Un dispositif que le nouveau Président américain souhaite accompagner d’un colossal plan notamment dédié aux infrastructures d’un montant de plus de 2.000 milliards de billets verts. C’est surtout bien au-dessus des prévisions de l’OCDE pour la zone euro (+3,9% en 2021).
Si la Chine, de par son appétit pour les matières premières liées à ses performances économiques, joue clairement un rôle dans l’augmentation des matières premières, elle est loin d’être la seule responsable. Premièrement, la reprise économique est mondiale. Autre point d’importance: les injections de liquidités records des banques centrales, en particulier de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque centrale européenne (BCE).
Ces sommes astronomiques se chiffrent en milliers de milliards. Elles ont parfois engendré des bulles spéculatives. Le rapport CyclOpe illustre son propos avec le cas du coton. Cette matière première a été la cible d’un engrenage spéculatif qui a vu son cours grimper au-dessus de 90 cents la livre en février. Une inflation dénuée de tout fondement économique.
L’étude invite à la vigilance en ce qui concerne «toutes les tensions géopolitiques au cours desquelles les matières premières restent en première ligne, qu’il s’agisse de la construction d’un gazoduc en mer Baltique, du problème nucléaire iranien, des importations chinoises en provenance d’Australie». En attendant, les auteurs du rapport ne sont pas d’accord avec les analystes de Goldman Sachs qui parlent de «super cycle» des matières premières.
D’après les cerveaux de l’institution financière, «en toute logique et sauf catastrophe, on devrait assister, après cette phase de rattrapage, à une détente des marchés, fin 2021 ou en 2022». D’ici là, il y a fort à parier que l’ogre chinois ne sera pas repu.