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20 juin 2021 23:16

Un rapport sur l’influence des idées décoloniales sur l’université est paru samedi 19 juin. Entrepris par l’Observatoire du décolonialisme dans le sillage de la polémique sur l’«islamo-gauchisme», le rapport tente de faire un état des lieux précis de la place des études «déconstructionnistes» dans le milieu universitaire.

L’université est-elle colonisée par la pensée décoloniale? C’est en tout cas ce qui semblait motiver la demande du rapport faite par la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal au mois de février dernier au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Une demande qui intervenait suite aux propos tenus par cette dernière sur CNews le dimanche 14 février.

«Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société», avait-elle déclaré au journaliste Jean-Pierre Elkabbach.

Or, ce n’est pas ce rapport-là qui est sorti ce samedi 19 juin. Mais celui de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires. Créé à la fin de l’année 2020, cet organisme réunit une centaine d’universitaires qui se réclament de l’universalisme républicain. Avec pour mission de dénoncer certaines dérives identitaires de «la pseudo-science».

​Le collectif a donc pris les devants en enquêtant au sein des recherches académiques sur «l’étendue de la pénétration des idées décoloniales dans le discours savant». Conclusion: thèses de doctorat, séminaires, programmes de recherche ou appels à recrutement, les rapporteurs concluent ouvertement à l’influence idéologique diffuse de la culture déconstructionniste et en particulier décoloniale au sein des grands lieux de savoir français.

«L’islamo-gauchisme», le concept-cible

«L’université est aujourd’hui le théâtre d’un affrontement idéologique mené par les tenants de la déconstruction contre l’institution elle-même», débute sans ambiguïtés le Rapport sur les manifestations idéologiques à l'université et dans la recherche. Le rapport est d’ailleurs avant tout une compilation d’exemples de thèses, de revues, d’événements, de publications et de programmes de recherche en lien avec les «gender, racial et colonial studies». Dans un but précis.

«L’objet de ce travail n’est pas de prendre parti, mais d’évaluer, de quantifier et donc de recenser les travaux menés autour des identités, plus précisément du décolonialisme dans l’université. Et en rendre compte au grand public pour qu’un débat apaisé et moins polémique puisse enfin débuter», précise Sami Biasoni, jeune doctorant en philosophie et membre de l’Observatoire.

Entendre par là: ouvrir un débat qui n’a pas eu lieu. Plus politique qu’académique, l’utilisation par Frédérique Vidal du concept d’«islamo gauchisme» avait en effet facilité les caricatures et les polémiques, empêchant de débattre sereinement de la pertinence, ou non, de l’enseignement décolonial.

​Le CNRS était ainsi monté au créneau, s’offusquant dans un communiqué qu’«un slogan politique» comme celui d’«islamo-gauchisme», sans «aucune réalité scientifique», puisse nuire à la recherche académique.

«Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques», pouvait-on lire dans le communiqué.

Au point que six enseignants-chercheurs avaient attaqué en avril dernier la ministre devant le Conseil d’État pour abus de pouvoir. Personne ne sait aujourd’hui où en est l’enquête annoncée par Frédérique Vidal auprès du CNRS sur «l’ensemble des courants de recherche» en lien avec «l’islamo-gauchisme» à l’université.

Des études minoritaires?

Les détracteurs de la ministre lui avaient rétorqué que les recherches, colloques ou rencontres autour de sujets comme la race ou le genre étaient en réalité minoritaires. L’historien Pascal Blanchard, en pleine polémique, estimait ainsi sur France Inter que «les questions coloniales ou de genre ont émergé parce qu’elles étaient très peu présentes avant. Mais, qu'extrêmement peu de chercheurs travaillent sur ces questions en réalité, moins de 1%».

​Ces études «sont loin d’être négligeables et moins minoritaires qu’on veut bien le dire», rétorque Sami Biasoni suite à la publication du rapport.

«On a une conversion relativement large de nombreux départements dans de nombreuses universités de petites, moyennes ou grandes tailles. Sans parler des budgets français et européens consacrés», ajoute à notre micro celui qui est également co-auteur de l’ouvrage Français malgré eux: racialistes, décolonialistes, indigénistes, ceux qui veulent déconstruire la France (éd. L’Artilleur).

Le rapport de l’Observatoire souligne que, plus encore qu’une récurrence des thèmes liés de près ou de loin au critical studies, c’est tout un nouveau modèle qui s’implante dans le milieu de la recherche, des sciences humaines jusqu’aux sciences dures. «Vous pouvez travailler sur la virgule chez Maupassant, mais ce sera l’étude de la virgule décoloniale», ironise, avec une pointe d’exaspération, le professeur de philosophie Jean-François Braunstein.

Gagner en respectabilité

Cette présence de la mouvance décoloniale s’explique également par l’utilisation de certaines portes dérobées au sein de l’université. C’est du moins ce qu’avançait Pierre-André Taguieff dans son ouvrage, L’imposture décoloniale, (Ed. L'Observatoire) en détaillant la pénétration des idées décoloniales et indigénistes au sein de grands organismes de recherche français. En particulier au CNRS, où, par exemple, le statut de «chercheur associé» y avait assuré l’immixtion de militants décoloniaux. Et l’intellectuel de s’en prendre à «l’entrepreneur idéologique et médiatique Pascal Blanchard» qui «n’hésite pas à se présenter d’une façon trompeuse, depuis les années 2000, comme "chercheur au CNRS"».

​Un tel mélange des genres entre chercheurs et militants prête donc le flan à la critique. «Les premiers conférant une respectabilité académique aux seconds - qui risquent cependant de "déteindre" sur les premiers», écrit Taguieff. Pour Jean-François Braunstein, également membre de l’Observatoire, ce «problème» serait «désormais bien plus global».

«La qualité du contrôle assuré par les pairs dans la recherche ne fonctionne plus, déplore le professeur de philosophie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Trop de chercheurs militants ont intégré des postes très élevés de départements de recherches à l’université d’où ils assurent maintenant la propagation de cette idéologie. Notamment dans le recrutement du personnel et l’obtention des crédits de recherches. Un professeur, par exemple, s’est fait recruter à Paris IV en philo comme spécialiste de Kant et, une fois dedans, il s’est mis à ne donner que des cours sur Judith Butler [l’une des intellectuelles fondatrices de la théorie du genre, ndlr]».

Un mécanisme analogue à celui des départements de recherche américains. Récemment, la militante Rokhaya Diallo a intégré l’université de Georgetown à Washington D.C. pour y faire «progresser la justice raciale».

Et l’auteur de La philosophie devenue folle (Éd. Grasset) d’ajouter à son constat la facilité de parcours assurée aux étudiants engagés dans ces champs de recherche. En particulier pour ceux qui souhaiteraient faire une thèse à Harvard ou dans les grandes universités américaines. Là où les critical studies ont «gagné la partie», déplore Jean-François Braunstein en lien avec ses collègues universitaires américains.

 

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