David Lisnard, lors de son intronisation à la tête de l’Association des maires de France, avait eu cette tirade satirique : « pour faire votre local à poubelle, il faut respecter le PLU, lui-même conforme au PADD qui doit être respectueux en application du SCOT, quand il existe, qui lui-même se met en application de la DTA, le tout dans le respect du Sraddet et du PLHI lorsqu’il a été adopté”. La logique est similaire pour l’implantation d’une usine dans une région.
La crise du covid a fait éclater aux yeux de tous les décideurs politiques à quel point la France disposait d’un tissu industriel fragile et miné par des décennies de planification et d’interventionnisme de l’Etat. Depuis mars 2020, il ne se passe pas un jour sans que les politiques de gauche, de droite et du centre appellent à réindustrialiser la France. Derrière cette formule incantatoire, professée comme un mantra encore et encore comme s’il suffisait de la répéter pour qu’elle devienne réalité, peu de choses ont été faites.
Pourtant, peu de politiques semblent prendre conscience des causes profondes de la désindustrialisation et le débat est, pour l’heure, dominé par le vide. L’ironie est certainement de voir la gauche avancer des idées pour réindustrialiser la France. Elle, qui fut la principale fossoyeuse de l’industrie. Pour l’instant, seuls les candidats Valérie Pécresse et Eric Zemmour ont fait quelques timides propositions sur le sujet mais sans aller très loin.
La simplification, grande absente du débat
Tout le monde le pense mais personne ne semble capable de la mettre en œuvre. La candidate Pécresse a proposé la mise en place d’un « comité de la hache » et promet de diviser le nombre de normes par deux. Elle s’inspire directement d’une des mesures phare du programme d’Olaf Scholz. Les principaux représentants des industriels plaident, depuis de longues années, pour faciliter l’implantation d’unités de production en France mais ils ont rarement été entendus. Le député de la majorité Guillaume Kasbarian, spécialiste des questions industrielles, avait, fin 2019, rendu un rapport éclairant sur le sujet. Il mettait en lumière « six irritants pour les industriels » :
- l’insécurité juridique ;
- l’opacité des procédures, des démarches à entreprendre et le manque de prévisibilité en
matière de délais ;; - les délais parfois trop longs d’examen des dossiers ;
- le défaut de pilotage ;
- l’absence d’une culture partagée entre l’administration et les porteurs de projets ;
- le manque d’accompagnement face à une exigence environnementale source de
complexité pour les industriels.
Le premier constat est assez édifiant mais témoigne aussi de l’aveuglement de nos politiques. Ils veulent des emplois et de la croissance mais ne semblent pas mesurer le coût pour une entreprise des normes qu’ils créent en permanence.
Une loi de ce quinquennat incarne la folie normative de nos politiques : la loi Climat et Résilience de 2021. Un texte de 126 pages rempli de normes et de contraintes réglementaires. Aujourd’hui, le délai d’accès au foncier pour un entrepreneur peut atteindre 18 mois, en comptant les expertises écologiques, études d’impact, fouilles archéologiques ou simplement la lenteur administrative. Ce délai est deux fois moindre en Allemagne. Par exemple, rien que le délai de délivrance de l’autorisation environnementale prend entre 10 et 11 mois.
Comment s’étonner, donc, que les grandes entreprises internationales préfèrent nos voisins ?
La part de l’industrie manufacturière dans le PIB est tombée à 10.5%, derrière l’Espagne qui n’est pas le pays le plus réputé pour avoir un secteur industriel très développé. C’est dire notre déclassement. Nous n’avons que 125 000 entreprises qui exportent leur production contre 210 000 en Italie ou 350 000 en Allemagne. La Direction interministérielle de la transformation publique avait publié un baromètre relevant les difficultés auxquelles font face les entrepreneurs, la complexité administrative étant la principale.
A ce titre, le rapport Kasbarian fait quelques propositions intéressantes, notamment la mise à disposition de sites clés en main, où les procédures administratives seraient limitées au minimum. Cette mesure serait un véritable coup de pouce pour les entreprises. En outre, il propose de laisser plus de latitude aux préfets pour accélérer les procédures et de créer un guichet administratif unique pour faciliter les démarches. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de mesures à court terme qui ne s’attaquent pas au fond du problème.
L’irruption des impôts de production dans le débat… pour quel résultat ?
La crise du covid aura eu la vertu d’obliger le Gouvernement à présenter des axes pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. L’une des mesures phares, la baisse de 20 milliards sur deux ans de la CVAE, est un premier pas. Au regard du poids exagéré de ces impôts sur nos entreprises, il faudrait en poursuivre l’allègement lors du prochain quinquennat. Le Medef plaide pour une baisse de 35 milliards des impôts de production.
En France, en 2020, ils représentaient 5,3% du PIB contre 2,6% en moyenne dans l’UE, et 0,8% en Allemagne. Cependant, le Gouvernement ne s’est pas encore attaqué au pire des impôts dits de production : la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés). Dans un rapport de 2019, le Conseil d’analyse économique, pourtant pas l’organisme le plus libéral qui soit, le décrivait comme étant « d’une nocivité sans égale dans le système fiscal français ».
En effet, la C3S taxe en cascade : à chaque étape de production, la taxe est elle-même taxée avec comme effet de réduire la productivité et de rendre les importations plus compétitives. Parmi les candidats déclarés à la présidentielle, seule Valérie Pécresse propose sa suppression, dont le coût pour les finances publiques est estimé entre 3 et 4 milliards d’euros.
Quant à David Lisnard, il plaide pour la suppression totale de tous les impôts de production. En compensation des pertes de recettes fiscales, les collectivités territoriales se verraient reverser une partie des recettes issues de l’impôt sur les sociétés, une mesure de simplification et de compétitivité pour notre économie. C’est peut-être plus compliqué, car il ne faudrait pas que les recettes des collectivités locale soient fondées sur une seule ressource au surplus fluctuante. Mais il faut travailler en ce sens.
Il y a urgence, le tissu industriel français n’a cessé de s’étioler sans que nos décideurs publics prennent pleine conscience du drame. Ces derniers semblent maintenant vouloir réagir mais comme souvent au pays de Colbert, ils se heurtent à l’interventionnisme administratif dont l’efficacité n’a que rarement été au rendez-vous.