A l’occasion du récent débat sur le projet de loi sur le pouvoir d’achat, Bruno Le Maire alertait les parlementaires : « Tout n’est pas possible, tout simplement parce que nous avons atteint la cote d’alerte sur les finances publiques. » Il ajoutait que les conditions de financement avaient changé et que désormais la France empruntait « à plus de 2 % » pour financer les dépenses publiques, quand elle le faisait encore récemment à taux négatifs ou très faibles.
Il a raison. La situation d’endettement de la France, qui sera proche de 3 000Md€ en fin d’année, est inquiétante. Mais néanmoins, l’Etat continue de multiplier les mesures d’aide au pouvoir d’achat face à une inflation fiévreuse que ces mesures pourraient favoriser. M. Le Maire est plus serein qu’il ne le dit parce que l’inflation profitera à l’Etat, du moins à court terme.
Des impôts larvés
En augmentant les seuils d’imposition moins que l’inflation, l’Etat procède à une augmentation d’impôt larvée mais réelle. L’exemple type est celui de l’IFI dont les seuils d’imposition, de 800 000€ si on dépasse une « fortune » de plus de 1,3 M€, n’ont pas bougé depuis 2012 (applicables alors à l’ISF). Quand l’inflation était autour de 1% par an, l’effet était négligeable. Il en va différemment quand elle est au-delà de 6%.
La non-indexation de diverses prestations est également une forme déguisée d’augmentation de l’impôt. Le cas le plus significatif est celui des retraites. Déjà insuffisamment revalorisées au cours de ces dernières années, elles seront très pénalisées cette année.
Comme l’a calculé le spécialiste des retraites de l’IREF, Thierry Benne, les retraites ne seront augmentées en moyenne sur toute l’année civile 2022 que d’un taux moyen pondéré de 1,10% + (4,00/2) = 3,10%. Le gouvernement envisage de reconsidérer cette revalorisation début 2023. En attendant, si l’inflation reste contenue à 6,10% sur l’année, les retraités vont perdre pas moins de 6,10 – 3,10 = 3,00 %, soit 365 x 3%= 10 jours de pouvoir d’achat ou un impôt supplémentaire latent équivalent.
Dans le même temps, les revenus augmenteront et l’impôt qui les frappe à taux progressif progressera donc plus que proportionnellement. Par définition, les prix seront rehaussés du taux de l’inflation et la base de la TVA sera grossie d’autant. Il en sera de même pour les cotisations sociales. Ce qui permet au ministre du budget, Gabriel Attal, de dire qu’il attend 55 Md€ de recettes fiscales de plus que prévu en 2022.
La baisse de l’endettement réel
L’inflation profitera par ailleurs à tous les emprunteurs. Le plus important est l’Etat dont la dette au 30 juin 2022 est proche de 2 900 Md€. Certes, environ 10% de la dette de l’Etat est indexée sur l’inflation, dont 30% sur l’inflation française et 70% sur celle de la zone euro. Pire, l’Etat a encore levé 3 Md€ d’OAT€ à 30 ans, des obligations indexées sur l’inflation européenne, en janvier 2022 et en mai il a émis une obligation verte de 4 Md€ indexée sur l’inflation. Néanmoins, 90% environ de ses emprunts ont été contractés à des taux fixes très modestes, parfois négatifs.
A long terme, si l’inflation se poursuit, la charge de la dette augmentera assez rapidement, la maturité moyenne des emprunts d’Etat étant de 8,2 ans. Déjà les taux moyens d’emprunt à dix ans de la France frôlent aujourd’hui les 2 % alors qu’ils étaient proches de zéro ces dernières années. L’Agence France Trésor a calculé qu’une hausse de 1 point des taux d’intérêt renchérirait la charge d’intérêts de 2,5 milliards la première année, mais de 6,1 milliards dès la deuxième année et même de 29,5 milliards à l’horizon de 10 ans. D’ores et déjà, le ministère de l’économie et des finances a annoncé que la charge des intérêts augmenterait de 17 Md€ en 2022, dont 15 Md€ dus aux emprunts indexés.
En attendant, sur un endettement moyen de 2 900 Md€ en 2022, une inflation à 6% fait baisser, en valeur relative, le capital dû de 156,6Md€ : 2 610 Md€ (pour tenir compte des 10% de dette indexée) x 6%. Ce qui est considérable et explique comment M. Bruno Le Maire peut soutenir qu’en pourcentage du PIB la dette va passer en 2022 à 111,9 % du PIB, contre 112,5 % en 2021 alors que le déficit de l’Etat sera encore de 5% en 2022, très au-dessus des 3% exigés au niveau européen.
Bien sûr à long terme l’inflation peut réduire la croissance et, par voie de conséquence, les ressources fiscales. Mais à court terme, voire plus, tandis que l’Etat sera le grand gagnant de l’inflation, ceux qui n’ont pas ou guère d’emprunts comme ceux dont les prestations ne seront pas ou mal revalorisées n’ont pas fini d’en souffrir. Et les Etats en sont responsables pour avoir vécu depuis si longtemps à crédit en faisant, indirectement, via les crédits ouverts par les banques centrales, marcher la planche à billets dont l’inflation se nourrit.