Le nombre de fermetures volontaires d’entreprises ne cesse d’augmenter en France. En cause : les coûts liés à l’énergie, une pénurie de main d’œuvre et des aléas climatiques qui épuisent les chefs d’entreprises. De nombreuses entreprises précaires créées pendant la pandémie, notamment dans le secteur de la livraison à domicile, ferment aussi.
« Ça fait 30 ans que je suis chef d’entreprise, je n’ai jamais vu ça de ma vie ». Patrick Seguin, entrepreneur en série et président de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Gironde, donne le ton. « J’étais encore récemment face à un entrepreneur de 65 ans, en pleurs, qui me disait qu’il ne comprenait plus rien de ce monde et arrêtait tout », explique-t-il à EURACTIV France.
Le témoignage de M. Seguin n’a rien d’anecdotique. Au premier semestre 2022, 183 530 radiations étaient enregistrées, soit une hausse de 35 % par rapport à la même période en 2021, et 40 % par rapport à 2020, selon les chiffres de l’Observatoire statistique du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC).
La cessation volontaire d’activité est, par définition, choisie de plein gré par le chef d’entreprise, pour n’importe quel motif. Elle s’applique à des entreprises en bonne santé qui ont les moyens de financer le licenciement économique de leurs employés et éponger leurs dettes.
S’arrêter par anticipation
« Un chef d’entreprise n’a d’autre choix que d’être optimiste », explique Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI), contacté par EURACTIV.
« De plus en plus d’entrepreneurs, notamment de toutes petites entreprises, s’interrogent aujourd’hui sur l’avenir. Face à la crise économique et énergétique qui s’annonce, nombreux sont ceux qui décident d’arrêter avant qu’il ne soit trop tard ». Plutôt que de faire face à un arrêt de force et une potentielle liquidation judiciaire, ils s’arrêtent par anticipation.
Et M. Seguin d’ajouter : « c’est en partie générationnel ». Ceux qui mettent la clef sous la porte « ne comprennent plus le monde dans lequel ils vivent, entre la Covid, la guerre en Ukraine et la crise climatique ».
La situation économique est morose. De 2,2 % de croissance en 2022, la Banque de France table sur 1,2 % en 2023, soit 0,7 points de moins qu’en 2019, avant la Covid-19. L’INSEE est à peine plus optimiste, en pariant sur une croissance de 2,6 % pour 2022.
Sans intervention concrète du gouvernement d’ici janvier 2023, les factures d’énergie des entreprises risquent de s’envoler, plombant de fait la reprise économique.
Cela se rajoute à l’obligation, pour de nombreuses TPE et PME, de commencer à rembourser leurs prêts garantis par l’Etat (PGE). EURACTIV révélait en août que 20 à 30 % des TPE, soit entre 120 000 à 180 000 entreprises, seraient à risque de déposer le bilan dans les « six à huit mois », selon le SDI.
Des entreprises créées pendant la Covid particulièrement instables
Une analyse à nuancer, selon une note interne de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), qu’EURACTIV a consultée en exclusivité. Si le nombre de radiations augmente depuis deux ans en France, il est à mettre en parallèle avec le nombre de créations d’entreprises, qui approche 1,5 million sur la même période, en forte hausse.
« Ces hausses (créations et radiations) révèlent un fort turn-over, montrant que les immatriculations sont de moins en moins viables économiquement », peut-on lire dans la note. En ligne de mire, « les activités de transports de personne et les livraisons à domicile ».
« La réalité est que de nombreuses personnes se sont lancées dans l’entrepreneuriat pendant la crise de la Covid, mais sans un business model viable », rapport Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME, à EURACTIV.
Un constat partagé par Thomas Denfer, président du CNGTC : « nous faisons face à de nombreux entrepreneurs individuels qui ont voulu intégrer le secteur de la livraison pendant des années de pandémie difficiles. Mais ce sont des secteurs volatiles » et les entreprises ne tiennent pas.
Et M. Denfer d’ajouter : « après 2020, qui a vu le nombre de créations d’entreprises exploser, nous sommes aujourd’hui en phase de recalibrage, vers des chiffres plus normaux ».
Mais l’inquiétude reste de mise pour tous. Alors que les signaux sont au rouge, les repreneurs se font attendre et des chefs d’entreprises, faute de mieux, sont obligés de fermer boutique.
Un enjeu aussi européen que français
Si la Commission européenne ne détient pas de données spécifiques au nombre de fermetures volontaires, 80 % des radiations (1,6 million) en 2021 concernent des entreprises sans employés, laissant penser que ceux-là même qui se sont mis à leur compte pendant la pandémie cherchent à nouveau un emploi.
Quant aux problèmes de recrutement, sujet de préoccupations majeures des entreprises, ils sont tout aussi réels en France que dans le reste de l’Europe.
Gerhard Huemer, directeur des affaires économiques de SME United, un syndicat européen des PME, est catégorique : « la main d’œuvre qualifiée manque à l’appel, surtout dans le secteur des services. On voit surtout une main d’œuvre d’Europe de l’Est qui, repartie pendant la pandémie, n’est jamais revenue en Europe de l’Ouest ».
Même son de cloche en France avec la dernière enquête de conjoncture de la CPME, publiée en juillet : sur les 51 % d’entreprises qui cherchent à embaucher, « 94 % d’entre eux rencontrent des difficultés à recruter le bon profil ». Un dirigeant sur quatre fait face à un turnover important « dont les principales raisons sont le souhait des salariés de se consacrer à autre chose qu’à leur vie professionnelle ».
Selon la dernière étude de la Direction générale des affaires économiques et financières (ECFIN) de la Commission européenne, publiée le 30 août, la confiance des entreprises « a diminué pour le sixième mois consécutif ». L’opinion économique de l’UE par les chefs d’entreprises est aussi en berne.