Le cyber harcèlement constitue une menace sérieuse et réelle pour les enfants et les jeunes et les citoyens qui utilisent au quotidien des plateformes numériques. Voici notre interview avec Sarah Frikh, la lanceuse d’alerte pour les femmes SDF et consultante cyber harcèlement et aussi une victime.
A ce jour, aucun responsable politique n’a apporté son soutien à cette militante pour le droit des SDF alors que dans d’autres cas, l’affaire est immédiatement médiatisée, et un élan de solidarité se forme autour de la victime. Pourquoi, Sarah Frikh ne bénéficie pas de ce soutien est une question à se poser dont la réponse est sûrement « politique ».
Vous aussi, vous êtes victime de cyber harcèlement. Pouvez-vous l’expliquer ? Qu’est-il est arrivé ?
Effectivement je suis victime et militante du coup. Je l’explique par le fait que les femmes sur les réseaux sociaux sont les premières cibles de cyber harcèlement, c’est un réel phénomène. Tout s’est déroulé en une journée, au réveil je m’aperçois d’une tentative de connexion sur mes réseaux vers 3h du matin. Finalement je me rends compte que je n’ai plus aucun accès à mon compte Twitter, j’en fais état sur mon Instagram et tout de suite je reçois un message extrêmement inquiétant en réponse à ma story.
Je découvre que c’est un nouveau style de harcèlement : une prise d’otage de mon compte Twitter contre de l’argent. L’individu m’explique tout d’abord qu’il aurait été mandaté par une femme travaillant dans le milieu associatif pour détruire ma vie. Mais il se serait rendu compte qu’avec mon association je venais en aide aux personnes SDF, du coup il me demande 750 € sur le compte de l’association pour récupérer mon compte Twitter.
L’individu me harcèle par message et finit même par m’appeler plusieurs fois, il finit par donner mon adresse et le numéro de mon appartement sur Instagram en story public. Là je comprends que je suis réellement mise en danger mais je décide de ne pas céder.
Chère Sarah, d’après vous quel est le but de ce cyberharcèlement ? Pourquoi vous attaquent-ils ?
Un cyber harcèlement n’est jamais fondé car il n’existe aucune raison valable pour mener ces raids de masse, pour ma part je suis victime de 2 cyberharcèlements différents. Le premier était un raid raciste et sexiste très violent en 2017. À l’époque je travaillais pour une radio nationale et le propos était plutôt clair : « enlevez le bougnoule de l’antenne, place à une vraie gauloise ». Le deuxième est dans le but de me faire fermer mes réseaux sociaux et d’arrêter d’aider les personnes sans-abri, ce que je n’arrive toujours pas à comprendre. J’ai plusieurs messages très explicites en ce sens.
C’est tragique que notre gouvernement ne protège pas très bien les victimes de cyber harcèlement. Quelle est votre opinion et vos attentes ?
La justice et la police manquent de moyens, il faudrait vraiment plusieurs unités, juste pour ce fléau, cela permettrait de réagir avant que des drames ne surviennent. Tous les agents de police que j’ai rencontrés ont été très à l’écoute et révoltés, il faut que le gouvernement leur donne de vrais moyens.
J’ai confiance en notre justice et en notre police, il leurs faut juste tout le nécessaire pour travailler efficacement sur ce nouveau sujet qui est venu avec la montée des réseaux sociaux. Il faut aussi que tout le monde s’éduque un minimum, Idem pour Twitter et les autres réseaux, je ne comprends toujours pas comment ils peuvent laisser autant de messages haineux sur leurs réseaux, ils font partie des responsables indirects pour moi. Il faudrait une base de données de mots-clés correspondant à des messages haineux pour qu’ils soient effacés dans la minute.
C’est une faiblesse qu’il n’y ait toujours pas de loi pour de tels crimes en France.
Une bonne loi peut-elle réduire de tels crimes ?
Il faut des lois rapides et efficaces, des condamnations importantes pour démotiver quiconque. Je ne comprends pas pourquoi il y a autant d’argent utilisé pour les spots de prévention mais dans les faits ces horreurs continuent de faire des victimes. N’oublions pas que le cyberharcèlement pousse les gens au suicide, quand le drame arrive c’est là que les agresseurs se réveillent mais il est déjà trop tard. J’ai une pensée pour Marion, Dinah, l’influenceuse Chacha et bien d’autres malheureusement.
Quel est votre conseil pour lutter contre de telles attaques de cyber harcèlement ?
Il faut faire bloc autour de la victime, comme ça a été le cas pour moi cette fois-ci. En 2017, tous mes anciens collègues m’ont tourné le dos, c’est ce genre de réaction qui peut pousser à un drame. On le constate malheureusement chez nos jeunes d’ailleurs. Les instances doivent réagir immédiatement pour faire appliquer des condamnations et effacer tous les messages haineux. Je le répète : que nous soyons d’accord ou pas avec le sujet, rien ne justifie des menaces de mort, de viol, de décapitation, raciste, sexiste ou autre.
Prise en otage par le gouvernement, c'est vraiment merveilleux !#Cyberharcelement #SoutienSarahFrikh pic.twitter.com/5lZtdCgAD4
— Fabianah_am (@fabianah_am) September 5, 2022
Si on voit un message en ce sens on doit le signaler en masse et le réseau social doit réagir immédiatement. Il faut que notre gouvernement en fasse une question d’ordre national, il en va de la vie de beaucoup de gens. Les dégâts psychologiques sont irréversibles et beaucoup font semblant d’ignorer le sujet.
Avec mon acolyte Bouchra Sirsalane, on se déplace dans différents établissements scolaires pour faire des ateliers auprès des jeunes concernant ce fléau ainsi que la citoyenneté. Je peux vous dire que ce que nous confient ces jeunes est terrifiant.
Les parents sont loin de se douter de ce qui se passe dans leur téléphone. Il va vraiment falloir relever les manches tous ensemble. Je m’adresse aux victimes potentielles : s’il vous plaît ne restez pas dans le silence, osez parler. La peur et la honte doivent changer de camps. Soyons la meilleure version de nous-mêmes.