Qui a saboté les gazoducs sous-marins Nord Stream 1 et 2 ? Tandis que les accusations contre Moscou se tassent, celles contre Washington s’intensifient. La dernière en date vient du journaliste d’investigation américain, Seymour Hersh. Dans un article publié mercredi 8 février sur Substack, il affirme que des plongeurs de l’US Navy ont posé des explosifs sur ces gazoducs en juin 2022 avant de les faire exploser en septembre.
Citant une source ayant “une relation directe de la planification de l’opération”, le lauréat du prix Pulitzer de 1970 affirme que les plongeurs de l’armée américaine ont été aidés par la Norvège.
Seymour Hersh écrit que le président Joe Biden a lui-même décidé de faire exploser ces pipelines, considérés à la Maison-Blanche comme “un moyen à la disposition de Vladimir Poutine pour transformer le gaz naturel en arme à des fins politiques et territoriales”. Il rappelle que le Nord Stream 1, déjà, “était perçu depuis ses débuts par Washington et ses partenaires anti-russes de l’Otan comme une menace à la domination occidentale”.
Des craintes justifiées, selon le journaliste, puisque Poutine “bénéficierait d’une source de revenu supplémentaire et essentielle” tandis que “l’Allemagne et le reste de l’Europe occidentale deviendraient dépendants de son gaz naturel à faible coût tout en diminuant la dépendance européenne envers l’Amérique”.
Neuf mois de discussions pour déterminer comment saboter le Nord Stream
Dans son long article, il ajoute que “la décision de Biden de saboter les pipelines a été prise après plus de neuf mois de débats très secrets avec la communauté de la sécurité nationale de Washington sur la meilleure façon d’atteindre cet objectif”. C’est à partir de décembre 2021, deux mois avant le début de l'offensive russe en Ukraine, que Joe Biden s’est réuni avec son conseiller à la sécurité, Jake Sullivan, en présence des chefs de la CIA, “pour réfléchir sur la manière de répondre à l’invasion imminente”.
La question, poursuit-il, “n’était pas de savoir s’il fallait accomplir la mission, mais plutôt de savoir comment s’y prendre sans que le responsable ne soit identifié”.
L’opération d’installation des explosifs, déclenchés à distance, a été menée “sous couvert d’un exercice de l’Otan, sous le nom BALTOPS 2”, lancé en juin à Stockholm (Suède). La Norvège, ajoute Seymour Hersh, “était l’endroit idéal” pour préparer l'opération, en raison de la présence d’infrastructures militaires américaines dans le pays.
“Ils détestaient les Russes et la marine norvégienne regorgeait de marins et de plongeurs exceptionnels qui avaient des générations d’expérience dans l’exploration pétrolière et gazière en haute mer”, aurait précisé la source du journaliste d’investigation.
D’autres détails sont dévoilés dans son article. Le “bon endroit” pour placer les explosifs a été repéré par la marine norvégienne qui craignait, avec les Américains, que leur “activité sous-marine inhabituelle dans les eaux au large de Bornholm alertent les marines suédoises et danoises”. Ils ont ainsi insisté à ce que des officiels et hauts gradés de ces deux pays soient informés de l’opération.
Washington a réagi à l’article de Hersh par la voie d'Adrienne Watson, porte-parole de la Maison-Blanche, qui a qualifié le texte de “fiction complètement fausse”. Une réaction partagée par la CIA. La Norvège a aussi nié toute implication.
Appels à une “enquête internationale transparente”
Pour Moscou, “certaines choses dans l’article sont contestables, d'autres ont besoin d'être prouvées, mais l'article est remarquable par son analyse profonde et son exposé harmonieux”. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, plaide pour “une enquête internationale transparente sur cet attentat sans précédent”, que “peu de pays dans le monde sont capables de commettre”.
Peu après les explosions des deux gazoducs, la Russie et les pays membres de l’Otan, notamment les États-Unis, se sont mutuellement accusées. En décembre, le Washington Post a révélé que “les premières conclusions” d’une enquête démontraient que “rien ne liait, de manière concluante, la Russie à l’attaque”. Moscou “n’est peut-être pas responsable du sabotage” et sa “condamnation a été rapide et généralisée”, lit-on.
La semaine dernière, c’est le procureur fédéral d’Allemagne, Peter Frank, qui a déclaré au quotidien Die Welt que qu’”aucune preuve” ne liait Moscou au sabotage.
Les accusations contre Moscou n’étaient plausibles aux yeux de plusieurs journalistes et responsables militaires, qui estimaient que la Russie “avait peu à gagner à endommager les gazoducs” qui lui génèrent des “milliards de dollars de revenus annuels”.
Les États-Unis, de leur côté, ont qualifié de “ridicules” les accusations de Moscou selon lesquelles Washington était derrière ce sabotage. Pour autant, l’administration Biden n’a pas sa “satisfaction” à ce que le Nord Stream “ne soit plus qu’un morceau de métal au fond de la mer”.
La Suède et le Danemark, qui mènent leurs propres enquêtes, n’ont jusque-là dévoilé aucune conclusion.
Seymour Hersh est l'un des plus célèbres reporters d'investigation américains. Il a obtenu le prix Pulitzer en 1970 pour avoir dévoilé, dans un reportage, le massacre commis par des militaires américains dans le village de My Lai pendant la guerre du Vietnam.