Après un « Métronome » consacré à l’histoire de France à travers les stations du métro parisien, Lorànt Deutsch passe cette fois par les routes et les voies navigables, pour un ouvrage au titre évocateur : « Hexagone » (Michel Lafon).
(….)
Le vocabulaire employé est fondamental, et on peut dire que Lorànt Deutsch ne fait pas dans la nuance, provoquant un sentiment de malaise.
Jugeons plutôt : « Coran dans une main, cimeterre dans l’autre, ils ont envahi Narbonne et sa région, massacrant les défenseurs de la ville, envoyant femmes et enfants en esclavage, offrant terres et habitations à des milliers de familles musulmanes venues d’Afrique du Nord [...] » (p 224). Il insiste sur le nombre : « des centaines de milliers d’Arabes et de Berbères, formant une armée massive suivie par une population d’hommes, de femmes, d’enfants et d’esclaves pressés de prendre possession des futures terres occupées « (p 225).
Des musulmans qui forment « une masse immense » (p 225), un « déferlement sarrasin » (p 225), et des « houles » (p 226) qu’il faut contenir. Le comédien enfonce le clou à plusieurs reprises sur la violence de « l’envahisseur » (p 226), qui a « transformé les églises et les synagogues en mosquées » (p 223), et perpétrés des « pillages » et des « massacres » (p 226).
Comment ne pas être interpellé par le choix de ce vocabulaire ? Et difficile de ne pas voir des allusions contemporaines quand Deutsch évoque ces « milliers de familles musulmanes venues d’Afrique du Nord » (p 224), « toute cette population qui croyait pouvoir venir s’installer sur les riches terres de Francie » (p 231).
La bataille de Poitiers est en effet un marqueur idéologique qui n’a rien d’anodin. Elle reste une référence des groupes identitaires et de l’extrême droite qui, jusqu’à Marine Le Pen, voient dans la victoire de Charles Martel une Gaule (et donc, pour eux, la France) sauvée du péril musulman, qui nous menacerait à nouveau aujourd’hui, mais cette fois par l’immigration, en particulier celle venue d’Afrique du Nord…
Lorànt Deutsch contre « le politiquement correct »
Cela nous conduit au dernier problème que pose l’angle choisi par le comédien. Et là, la différence avec « Métronome » est cruciale. Si dans son précédent ouvrage,
Deutsch restait dans l’ambiguïté, voire le flou, il a cette fois choisi ouvertement son camp.
Dans sa conclusion sur la bataille de Poitiers, il prend ainsi des accents à la Jean Sévillia et son « historiquement correct » [2] : « je le sais bien, la bataille de Poitiers, le Croissant contre la Croix, l’union sacrée des chrétiens et des païens contre l’envahisseur musulman dérangent le politiquement correct » (p 231).
Et d’adhérer, après la théorie du « génocide » vendéen (autre marqueur idéologique) [3], à celle du choc des civilisations : « Alors, pour nier ce choc des civilisations, certains historiens ont limité la portée de la bataille remportée par Charles Martel » (p 231).
Caricaturant au passage les positions des historiens qui voient dans la bataille de Poitiers la fin d’une razzia et non d’une conquête (mais ne nient pas la portée de l’événement, notamment dans le camp franc), Lorànt Deutsch se permet l’ironie : « Charles Martel s’est énervé un peu vite, il aurait dû attendre quelques semaines et les Arabes seraient sagement rentrés chez eux, en Espagne… C’est bien trouvé, rassurant, consensuel. » (p 232).
A l’heure où il est difficile de nier une montée de l’islamophobie en France, on peut juger préoccupant ce choix d’un comédien célèbre de raconter un tel événement historique de cette façon.
Est-ce politiquement correct de remarquer une étrange corrélation entre le discours et le vocabulaire de Deutsch sur cette bataille, et celui de l’extrême droite la plus dure ? Le grand public mérite mieux en guise d’histoire que ce récit identitaire, jouant sur les fantasmes les plus caricaturaux. Les travaux de vulgarisation de qualité produits par des historiens, des archéologues, des anthropologues soutenus par la recherche publique existent. Aux médias de faire leur travail et de permettre leur diffusion. Et de rester vigilants face aux usages publics de l’histoire, qu’ils viennent de politiques ou de célébrités.