Dix ans après la fermeture de la dernière mine de charbon en France, les bassins houillers du Nord ou de Lorraine font de nouveau parler d’eux. Ils sont le terrain de jeu d’entreprises désireuses d’exploiter du « gaz de couche ». Pour être extrait, ce gaz, contenu dans des couches de charbon profondément enfouies, pourrait nécessiter les mêmes méthodes que celles utilisées pour les hydrocarbures de schiste, avec de lourds impacts environnementaux. C’est le cas en Australie où les mobilisations citoyennes se renforcent. Dans le Pas-de-Calais, les riverains des bassins houillers s’inquiètent et prévoient de manifester le 13 avril.
Avez-vous déjà entendu parler du « gaz de couche » (coalbed methane en anglais) ? Ce gaz n’est autre que du méthane piégé au cœur des veines de charbon des anciennes houillères. Il est principalement exploité aux États-Unis, au Canada et en Australie. Mais d’anciens bassins houillers français dans le Nord-Pas-de-Calais, le Jura, la Lorraine, la Provence et les Cévennes sont dans la ligne de mire des entreprises gazières. Ainsi, l’entreprise britannique European Gas Limited (EGL), qui a racheté l’entreprise publique Gazonor – ex-Charbonnages de France – dispose de plusieurs permis exclusifs de recherches en Lorraine (ici et là), dans le Jura et dans le bassin de Gardanne (Bouche-du-Rhône).
Est-ce la même chose que le « gaz de mine » à l’origine des célèbres coups de grisou, ces explosions accidentelles dans les mines de charbon ? Non, car ce qui est appelé gaz de mine peut-être récupéré sans forage à l’entrée des mines. Sa teneur en méthane est limitée et son exploitation, bien qu’utile, est peu rentable sans le soutien financier des pouvoirs publics [1]. De son côté, le gaz de couche est constitué très majoritairement de méthane fixé dans le charbon, souvent profondément enfoui au delà de 1000 mètres sous terre. Le gaz, prisonnier des veines de charbon, ne peut-être récupéré en surface comme le gaz de mine.
Un « gaz made in France » promu par le gouvernement
A la différence des projets d’exploitation de gaz et pétrole de schiste auxquels la très grande majorité des élus locaux se sont largement opposés, le gaz de couche suscite une large adhésion. En faisant miroiter un gaz moins cher, une réduction de la facture énergétique, de nouvelles activités industrielles et des perspectives d’emplois, les prospecteurs gaziers semblent avoir convaincu la très grande majorité des élusdu Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine. Bertrand Péricaud, élu régional communiste, a ainsi présidé une mission d’enquête pour le Conseil régional du Nord-Pas de Calais, en affirmant vouloir gagner « la bataille du gaz de couche ».
Pour l’élu communiste, l’exploitation de ce gaz non conventionnel pourrait attirer dans la région des entreprises très consommatrices de gaz, soucieuses de sécuriser leur approvisionnement et de disposer de prix inférieurs à celui du marché. Une position appuyée par Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, qui considèreque ce « gaz made in France, un gaz en marinière en quelque sorte » (sic) pourrait contribuer à réduire « le risque de délocalisation [des industries chimiques] vers des pays où le prix du gaz est très bas ».
En régions, des élus divisés
La mission d’enquête du Conseil régional Nord-Pas de Calais se veut enthousiaste. Avant même tout forage, en se basant sur les estimations de EGL, elle annonce un total de 850 emplois non délocalisables et l’extraction de l’équivalent de 3 % de la consommation annuelle de gaz du pays pendant vingt à trente ans. Une ambition contradictoire avec l’engagement de la région à réduire de 60 % sa consommation énergétique et à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Les élus écologistes nordistes dénoncent « un contresens historique et politique » et ont décidé de claquer la porte de la mission d’enquête, en affirmant « rejeter l’exploration comme l’exploitation du gaz de couche ».
En Lorraine, au contraire, le vice-président écologiste de la région, Daniel Béguin, soutient l’exploitation des gaz de couche. Il affirme qu’il y a besoin de gaz « pour assurer la transition énergétique dans les trente ans à venir ». Ce qui revient à vouloir extraire plus d’énergies fossiles pour pouvoir s’en passer. L’entreprise EGL a obtenu en 2012 des autorisations préfectorales de travaux pour quatre communes en Moselle [2]. Aucune enquête publique et aucune étude d’impact n’ont été menées. Même si l’exploitant a déjà évoqué l’utilisation de la fracturation hydraulique par le passé, il se défend aujourd’hui de vouloir recourir à cette technique. Et affirme qu’il pourra produire du gaz par « simple dépressurisation », en insistant sur la fracturation naturelle du charbon.
Impacts sur la qualité de l’air, de l’eau et du sol
Des craintes relatives aux impacts environnementaux générés par ces exploitations sont cependant émises dans un récent rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Le niveau des nappes phréatiques, la qualité des eaux souterraines et de surface, ainsi que celle de l’air et des sols pourraient être affectés. Le rapport pointe également des risques accidentels comme la migration non-maîtrisée de gaz vers la surface. A ce sujet, Roland Pellenq, directeur de laboratoire au CNRS, estime qu’elles sont inhérentes à l’exploitation du gaz non conventionnel, y compris donc les gaz de couche.
Dans la région Nord-Pas-de-Calais, la résistance locale s’organise. Le collectif citoyen Houille ouille ouille multiplie les initiatives pour alerter la population, les associations et les pouvoirs publics sur les deux permis d’exploration délivrés, pour une surface totale de 1400 km2. Ils font valoir que les documents qui ont justifié la délivrance du permis du Valenciennois d’octobre 2009, et du permis du Sud-Midi de juillet 2010, mentionnaient « la mise en œuvre des techniques de la fracturation hydraulique en fonction de la perméabilité du charbon » [3]. Depuis le vote de la loi d’interdiction de la fracturation hydraulique de juillet 2011, EGL, qui a été récemment rachetée par Transcor Astra Group, filiale de la holding d’Albert Frère – milliardaire et actionnaire de Total – se garde bien d’en faire mention. Néanmoins, le collectif citoyen considère que le doute subsiste et que l’industriel pourrait être tenté d’y revenir une fois les lourds investissements entrepris.
Gaz de couche = fracturation hydraulique ?
A l’initiative d’une lettre ouverte signée par des organisations nationales telles que les Amis de la Terre, Attac France ou la Confédération paysanne, les collectifs citoyens contre les gaz de couche expliquent que partout où le gaz de couche est exploité, la fracturation hydraulique est utilisée. Ainsi, Origin Energy, exploitant du gaz de couche dans le Queensland, en Australie, a annoncé le 11 mars avoir stoppé sa production après la découverte d’amiante dans les fluides de forage résultant de l’utilisation de la fracturation hydraulique.
Toujours en Australie, une nappe phréatique vient d’être polluée par l’entreprise Santos qui exploite un gisement de gaz de couche. Suite à une fuite sur un bassin de rétention contenant les fluides de forage et de fracturation, de nombreux métaux lourds (plomb, aluminium, arsenic, baryum, bore, nickel et uranium) ont été détectés dans l’eau à des niveaux élevés, supérieurs à 20 fois la norme pour l’uranium. L’agence de l’environnement australienne a ouvert une enquête. Sur place, les mobilisations des riverains se renforcent avec le mot d’ordre « Farmers, lock the gate » (Paysans, fermez le portail).
Considérant que « l’heure n’est plus à l’extraction forcenée des énergies fossiles », les collectifs citoyens appellent à manifester le dimanche 13 avril à Divion (Pas-de-Calais), l’une des deux villes concernée par des forages d’EGL prévus cette année. Dans un bassin minier, classé par l’Unesco et dont le sous-sol a été rendu instable par l’exploitation du charbon, les collectifs ne veulent pas entendre parler d’exploitation de gaz de couche. En lieu et place, ils en appellent à « une réelle transition énergétique, basée sur la sobriété, les énergies renouvelables et la relocalisation des activités ».
Maxime Combes
Photo de une : Mobilisation en Australie contre l’entreprise Santos, 2011. (source)