Tribune de Bernard Guetta intitulé «Faire front contre le Front» sur la montée de l’extrême droite en France et en Europe et sur la nécessité de la formation d’ un parti démocrate paneuropéen, «celui de la démocratie sociale européenne».
On ne veut pas encore le voir, on ne peut pas l’imaginer, mais les quatre peurs qui travaillent aujourd’hui la France – les peurs de la mondialisation, du chômage, de l’islam et de l’Europe – auront bientôt enraciné un parti qui attirera autant d’électeurs de gauche, qui ne sentent plus défendus par le PS, que d’électeurs de droite, qui ne sentent plus incarnés par l’UMP.
Sous six mois, le paysage politique français aura été totalement bouleversé. En admettant même qu’une maladresse de trop n’ait pas mis le pays dans la rue en additionnant tous les mécontentements, le Front national aura marqué tant de points aux municipales et, surtout, aux européennes qu’une situation totalement nouvelle se sera créée.
Il n’y aura plus la gauche et la droite et, loin derrière elles, des formations d’importance secondaire. Il y aura une gauche et une droite en plein désarroi et un Front national en pleine ascension, un tripartisme plaçant l’extrême droite sur un pied d’égalité avec les deux grands courants autour desquels l’échiquier politique s’organisait depuis la Libération. Pour les uns, ce sera l’ivresse de la victoire. Pour les autres, un choc qu’ils ont le tort de ne pas anticiper dès maintenant mais ce ne sera qu’un début.
Le problème est d’autant plus sérieux que ce cocktail n’est pas que français. On le retrouve dans la majeure partie de l’Europe qui est ainsi menacée d’une crise politique autrement plus grave que ses difficultés économiques.
Parce que rien n’est plus porteur que la victoire, on verra tomber alors tout ce qui pouvait rester (peu de choses en fait) de pudeur ou d’inhibition devant une force politique dont les racines plongent directement dans l’extrême droite d’avant-guerre.
Dans tous les corps de métier et tous les milieux, des gens se diront qu’il y a des places à prendre et des carrières à faire. Des enseignants et des magistrats, des syndicalistes et des hauts fonctionnaires, des intellectuels et des policiers se rallieront à Marine Le Pen, non pas au point de faire du FN un parti majoritaire mais en assez grand nombre pour faire boule de neige.[…]