C’est une vraie révélation sur France Inter [1], que d’entendre un Patrick Cohen converser respectueusement avec un invité, qui tient peu ou prou le même discours qu’un J.-L. Mélenchon qui lui est systématiquement tancé d’irréaliste. Gaël Giraud [2], économiste, chercheur au CNRS, a en effet une posture, une voix pleine d’assurance qui sied à Patrick Cohen. Là où d’autres seraient immédiatement interrompus, lui assène des solutions simples et optimistes et est religieusement écouté. L’auditoire lui rend grâce, gagné par une bonne humeur économique rare au petit matin sur la radio nationale (en pays) socialiste.
En effet le remède est simple, garanti par le sceau d’un autre économiste mondialement reconnu, l’Australien Steve Keen [3]. Dans son livre L’imposture économique [4], il prône quatre leviers :
- relancer les investissements publics et écologiques,
- tendre vers le plein emploi,
- faire de l’euro une monnaie commune et non plus unique,
- faire pression sur l’Allemagne.
Il ajoute de plus que, si les marchés réagissaient mal (et personne n’en doute), les Français ont suffisamment dans leurs bas de laine pour acheter toutes les obligations d’État nécessaires pour supporter de tels investissements, soit 200 milliards d’€ par an.
Étonnamment rafraichissant et détonant, lorsqu’un tel discours n’est pas interrompu par une Nathalie Saint Cricq égotique, ou pollué par un Cohen défenseur de l’empire. Gael Giraud en profite, il a d’ailleurs déjeuné avec le président Hollande, qui a très bien compris le message .
La solution est simple, compréhensible par tous, facile à mettre en œuvre, et surtout considérée comme réaliste. Rien de neuf cependant, J. Stiglitz a tenu ce discours dès 2003, Frédéric Lordon l’a brillamment affiné, martelé avec beaucoup de confiance et d’éloquence, certains en ont même fait leur fond de commerce. Quoi de plus normal qu’après une décennie la raison et la compétence soient enfin reconnues, entendues ?
Mais il y a quand même quelque chose qui cloche. D’un côté, une crise grave, de la souffrance, des drames, de l’autre, une solution simple et réaliste. Pourquoi cette solution n’est-elle pas mise en œuvre ?
M. Hollande, où étiez vous durant ces 25 dernières années ?
Vous étiez peut être en train de tourner autour de nous avec des allumettes allumées ? Ce sont les mots de Sahra Wagenknecht à l’attention d’Angela Merkel [2].
Mais qui va s’adresser ainsi, en France, à François Hollande ?
L’actualité politique et économique ne colle plus avec ce président, bon homme, humain, socialisant de bon aloi. Bien des Français ont intériorisé ce décalage, qu’ils appartiennent à ses opposants ou, plus étonnant, à ses partisans.
Comment un tel président peut-il remettre à demain toute tentative d’abréger les souffrances de son peuple ?
Pourrait-il choisir de ne pas engager rapidement cet investissement qui très vite va créer des emplois tout en sollicitant ce même peuple dans un effort fraternel ?
Bien sûr que non, et les musiques de fond deviennent plus prégnantes. La politique extérieure, ce sont les basses dans cette philharmonie.
Cet homme supposé probe et humaniste s’empresse de reconnaître une résistance syrienne aussi trouble que le nouveau gouvernement ukrainien, tous deux médiatisés par Bernard-Henri Lévy, alors qu’il aura attendu deux ans avant de reconnaître un État palestinien légitimé depuis un demi-siècle par les Nations-Unies.
Même rapidité à légitimer le massacre des civils de Gaza, même inertie face aux colonisations illégales en territoire palestinien. Aujourd’hui un ministre palestinien vient de mourir [3] sous les coups d’un soldat israélien : il manifestait contre les implantations illégales à Ramallah.
Et pas un seul contre exemple qui sauverait le bon homme.
Interdiction de survol du territoire pour Snowden et Morales, pas un geste en faveur de son homologue de l’Internationale socialiste Laurent Gbagbo, injustement emprisonné au Tribunal pénal international (TPI), asservissement systématique de notre plus très jeune Young Leader de la French-American Foundation (FAF) aux impératifs de l’exceptionnalisme américain [4].
Son entourage ? Il pourrait certes aider sa défense à plaider comme circonstances atténuantes ces mauvaises influences, mais attention, tout de même, à l’accusation d’association de malfaiteurs. Il ne sera pas dit que l’on tire ici sur les ambulances, laissons au Saint (bon) homme la responsabilité de ses manquements à toute éthique humaine et surtout républicaine. Sa partenaire Angela Merkel aura, elle aussi, du mal à prôner la sagesse et l’austérité salvatrice, lorsque les Français, les Grecs, les Espagnols, les Portugais, les Allemands, etc. auront lu les mémoires de son pater commander, l’ancien chancelier Helmut Kohl [5].
Il est du devoir de ses opposants de cesser d’adopter une attitude prétendument chevaleresque, et d’alerter le peuple dont ils suscitent le suffrage. Sinon ils prennent le risque fou d’être assimilés dans leur ensemble à un président bonhomme laissant son peuple souffrir sous le joug d’une dette qui pourrait facilement être endiguée, à un bon homme qui hypothèque la souveraineté de la France en accréditant la politique agressive impérialiste des USA, un bon homme suivant les conseils de son entourage de banquiers avides qui manquent à toute déontologie (JP Jouyet) [6], un bon homme systématiquement en accord avec les chefs d’Étateuropéïstes libéraux.
Ce manque de confiance face à ceux qui sont au pouvoir et n’agissent pas, mais aussi face à ceux qui se taisent dans l’opposition, explique les défections d’hier et d’aujourd’hui (abstentions) et les excès de demain (votes lapidaires). Est ce un hasard, si le politique unanimement stigmatisé à l’ouest, Vladimir Poutine, qui n’a rien d’un bonhomme, use d’un langage clair et juste et recueille ainsi l’aval d’une large majorité de son peuple ?
Sahra Wagenknecht, quant à elle, a su alerter et rassurer ses électeurs allemands.
Francis Barban
Notes
[1] “Les économistes orthodoxes n’ont pas intérêt à ce que le débat ait lieu”, par Gael Giraud (les-crises.fr, français, 07-12-2014)
[2] Gaël Giraud, né le 24 janvier 1970, est un économiste français spécialisé en économie mathématique. Il est prêtre catholique, membre de la Compagnie de Jésus. (Wikipédia, français)
[3] Steve Keen, né le 28 mars 1953 à Sydney, est un économiste australien, qui se se définit lui-même comme post-keynésien. (Wikipédia, français)
[4] L’imposture économique, par Steve Keen. Préface de Gaël Giraud. Les Editions de l’Atelier, 532 pages, 27 euros. (amazon, français)
[2] [Vidéo + Transcription] Devant le parlement allemand, une députée accuse Merkel de servir les intérêts des USA au détriment des citoyens et de l’Europe (vineyardsaker, français, 09-12-2014)
[3] Mort d’un ministre palestinien : les images de la manifestation (lemonde.fr, français, 10-12-2014)
[5] Merkel, jeune et innocent(e)…(vineyardsaker, français, 01-12-2014) & Les Mémoires de l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl pourraient enterrer la carrière de Merkel (reseauinternational.net, français, 06-12-2014) &
[6] [Affaire de Margerie] 3ème partie : Un « message » des États-Unis à la France, à la manière du « Parrain »(vineyardsaker, français, 01-12-2014)
vu sur : Chômage de masse, taux d’intérêt : deux records significatifs de la déliquescence française
En savoir plus sur http://lagauchematuer.fr/2014/12/12/chomage-de-masse-taux-dinteret-deux-records-significatifs-de-la-deliquescence-francaise/#ePJg4FkoD3oyGASO.99