Comme attendu, chacun a campé sur ses positions syriennes ce vendredi soir à l’Élysée : François Hollande a affirmé, lors du point de presse commun avec son invité russe, qu’il n’y avait pas de solution en Syrie sans « départ de Bachar al-Assad » et demandé de nouvelles sanctions contre son régime, qui, a-t-il déclaré, « s’est conduit de manière inacceptable, intolérable » et a « commis des actes qui le disqualifient« . Ces déclarations un rien abruptes mais conformes à la vulgate occidentale n’ont peut-être pas complètement surpris Poutine, les deux hommes ayant dû assez longuement aborder le sujet au cours de leurs deux heures et demie d’entretiens – dîner compris. Mais elles l’ont visiblement agacé et il a fait allusion, juste après la sortie de Hollande, au fait que Bachar al-Assad s’était par le passé d’avantage rendu à Paris qu’à Moscou.
Poutine à Hollande : “Combien de civils victimes des rebelles ?”
Pour le reste, et sur le fond de l’affaire, le président de la Fédération de Russie a répété que la solution à la crise syrienne ne pouvait être que politique et que rien ne pouvait y être obtenu par la force ; il a mis en doute l’efficacité des sanctions et dit qu’il fallait tout faire pour éviter une guerre civile, dit aussi que le régime n’était pas seul responsable du climat de violence, évoquant les victimes des « rebelles« . Poutine a même posé la question à l’intention de son interlocuteur et bien au-delà : “Combien de civils ont péri aux mains des autres, des rebelles, est-ce que vous avez compté ces pertes, il s’agit de centaines de personnes ! ” Un rappel nécessaire en ce lieu et vis-à-vis de cet interlocuteur voué à la langue et à la pensée de bois sur ce sujet. Et aussi une façon de rappeler que la Russie ne se laissait pas impressionner par le pathos hypocrite des Occidentaux sur le drame de Houla, sur lequel ils se sont littéralement précipités sans attendre une vraie enquête, ce qui risque d’ailleurs de tourner à leur confusion. Le président russe a nié à ce sujet que la Russie ait livré à Damas des armes susceptible de servir à sa lutte contre les bandes armées.
Répondant point par point à son – nous allions dire « adversaire » – hôte, Vladimir Poutine a eu ces mots sur le départ de Bachar réclamé mécaniquement par l’Ouest : «Si on écartait du pouvoir un président en exercice, est-ce que vous croyez qu’il y aurait un bonheur total dans ce pays demain ? Non » Et le chef de l’État russe a eu beau jeu de mettre en exergue les violences ayant suivi les chutes de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi, dans deux pays arabes victimes notables de l’ingérence humanitaire à l’occidentale.
Et, logiquement, il a réaffirmé son appui résolu au plan de paix Annan : « Nous devons tout faire pour que sa mission (à Kofi Annan) soit couronnée de succès et je considère comme contre-productif de déclarer à l’avance que sa mission est vouée à l’échec » : là encore un message clairement destiné à son voisin de pupitre.
Face à tant d’évidences inaudibles par lui et les siens, François Hollande a eu quelques mots pour dire qu’il n’ignorait pas les risques de guerre, seul lest que cet homme politique formaté pouvait lâcher en la circonstance.
La tension entre les deux présidents était visible, visage fermé côté russe, sourire crispé côté français.
Bref, Poutine a répété à Paris ce qu’il avait dit dans la matinée à Berlin, où Angela Merkel, tout en réclamant selon le catéchisme diplomatique européen le départ de Bachar, avait partagé la préoccupation exprimée par Poutine du risque d’une guerre civile, et s’était dit d’accord avec lui pour privilégier une solution politique. On se souvient d’ailleurs qu’un peu plus tôt les Allemands avaient pris publiquement leurs distances d’avec les menaces d’intervention militaire proférées par le président français sur France 2, réaffirmant que celle-ci n’était pas de saison. Il n’est pas exagéré de dire que le drame syrien et son appréhension par Hollande ont, au moins ponctuellement, éloigné Paris et Berlin.
Pas vraiment un succès diplomatique « hollandais »
Vladimir Poutine, qui avait d’autres sujets à examiner avec son homologue français, a eu par ailleurs des mots très aimables pour la France, pays dont il veut conserver l’amitié. Il n’empêche qu’il n’a à l’évidence pas goûté la surenchère hollandaise sur la Syrie. Pourquoi d’ailleurs une position aussi « marquée » de la part du nouveau président français ? D’abord, Hollande est, répétons-le hardiment, « formaté » depuis sa jeunesse par le kouchnérisme diplomatique, et croit donc à ce qu’il raconte, à savoir la fiction médiatique d’un dictateur martyrisant un peuple unanimement dressé contre lui. Et puis, il n’est pas du genre à se distinguer de la doxa diplomatique occidentale et européenne. Ensuite, certainement, il a voulu faire taire une bonne fois pour toutes sa réputation de « mou », d’homme de demi-mesures surtout face à un adversaire de poids et présenté lui comme un dur, et qui est le principal obstacle au programme euro-américain de « normalisation » du monde en général et du Proche-Orient en particulier. Du coup, il a peut-être un peu « surjoué », endossé un costume de chef de file anti-Bachar un peu trop grand pour lui, le véritable challenger de Poutine dans ce domaine s’appelant Barack Obama.
En tous cas, on a eu une millième démonstration de l’absolue interchangeabilité, sur les sujets essentiels, des équipes dirigeantes françaises, de « gauche » ou de « droite ».
La vrai morale de cette rencontre étant quand même que, faisant mentir certains titres grotesques de la presse française, Hollande n’a pas vraiment fait « plier » Poutine sur la Syrie, celui-ci restant calme mais très ferme. C’est donc plutôt, pour la « nouvelle France socialiste », un échec diplomatique marqué, encore un peu aggravé par la dissension apparue avec l’Allemagne sur le sujet.François Hollande et Laurent Fabius vont donc proposer, et sans doute obtenir, de leurs partenaires européens de nouvelles sanctions économiques contre le régime – et contre le peuple syrien par la même occasion. Et puis ils vont organiser, en juillet à Paris, une nouvelle réunion des « Amis de la Syrie « nouvelle occasion de nouvelles incantations anti-Bachar, abondamment relayées par la presse française pas moins formatée que le président de la République. Tout ça pour ça…
(Vrais) amis de la Syrie, rassurez-vous : votre pays de coeur ou de sang n’a rien à craindre de ces brasseurs de mots et de ces marchands d’indignation.