Les passeurs adaptent leurs méthodes à la législation européenne
Un business lucratif qui n’indigne pas la gauche
Ces trafiquants d’êtres humains ont changé de stratégie et d’échelle pour rançonner toujours plus les migrants. En 48 heures, cette semaine, les autorités italiennes ont dû secourir plus d’un millier de passagers clandestins abandonnés en Méditerranée à bord de deux bateaux-fantômes.
Ce vendredi 2 janvier, les garde-côtes italiens ont hélitreuillé six hommes sur le cargo Ezadeen avec à son bord 450 personnes, mais sans équipage, à 35 km du port de Crotone en Calabre. Ils ont pu remettre les moteurs en marche et porter assistance aux passagers. »Tout le monde se porte bien. On a apporté de la nourriture et de l’eau. Les gens sont calmes et on pilote le navire jusque vers nos côtés au Nord-Ouest », déclare Filippo Marini, porte-paroles des garde-côtes.
Le cargo se rendait en France
L’Ezadeen était parti, le 11 octobre, de Tartous, en Syrie, a fait escale à Chypre, le 19 décembre, et se rendait à Sète, en France. Il y a deux jours, l’Italie avait déjà dû secourir le Blue Sky M, un autre navire qui transportait 900 clandestins.
Les trafiquants ont changé de tactique
Ces deux cargos laissés à la dérive fin 2014 et début 2015 au large de l’Italie, avec au total plus de 1.500 migrants à leur bord, montrent que le trafic d’êtres humains a changé de braquet. Leur économie souterraine a fait prospérer les trafiquants et aux canots de pêche et autres frêles embarcations, ils préfèrent désormais de vieux navires destinés au fret ou au transport de bétail, où ils entassent plusieurs centaines de personnes qu’ils abandonnent en pleine mer pour échapper aux autorités, mettant la vie des passagers en péril.
L’agence européenne Frontex (en anglais) estime qu’un convoi entre la Libye et l’Italie avec 450 migrants à bord rapporte environ un million d’euros aux passeurs, mais cette somme peut aussi tripler.
L’administration européenne dresse des constats, mais peine à endiguer le phénomène, alors que – faute de moyens – la Marine militaire italienne met un terme à « Mare Nostrum », une opération humanitaire débutée le 15 octobre 2013, suite à la catastrophe maritime de Lampedusa, en octobre 2013. En un an, la mission a permis de secourir plus de 150.000 personnes, soit plus de 400 par jour en moyenne, et d’arrêter 351 passeurs. Elle n’a toutefois pas empêché les drames : au moins 3 300 migrants ont trouvé la mort en Méditerranée cette année.
Le 1er novembre 2014, une autre opération navale baptisée « Triton » a été lancée aux frontières de l’Europe. Elle a été confiée à Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières. Huit pays participent à cette opération : la France, l’Espagne, la Finlande, le Portugal, l’Islande, les Pays-Bas, la Lituanie et Malte. Cette aide consistera à mettre à disposition, à tour de rôle, du matériel technique et des gardes-frontières. Elle est pour l’instant jugée insuffisante par Frontex, qui estime avoir un besoin plus important en matériel technique.
Concrètement, Triton peut pourtant compter sur 21 navires, quatre avions, un hélicoptère et 65 officiers détachés par les Etats membres pour des rotations à durée variable. Triton permettra des patrouilles près des côtes, sur une zone comprenant le sud de la Sicile, les îles Pélages et la région de la Calabre, dans le sud de l’Italie.
Les trafiquants ciblent désormais les zones de conflit
Le « printemps arabe » a boosté les affaires. Plus de 207.000 personnes ont entrepris la traversée de la Méditerranée en 2014, observe l’Agence des nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Et pour la première fois, les migrants fuyant des pays en guerre ou des régimes dictatoriaux, comme la Syrie et l’Erythrée, sont majoritaires. Il s’agit de réfugiés de guerre, plus que de migrants économiques.
Alors que les pays frères voisins sont de plus en plus réticents à accueillir, la législation communautaire européenne exerce un fort pouvoir d’attraction. « Les Syriens fuyant les bombes partent avec femmes et enfants. Issus des classes moyennes, ils disposent de ressources financières plus importantes que les autres migrants. [Ils peuvent être] médecins, ingénieurs, commerçants. (…) Les passeurs en profitent pour augmenter les tarifs », détaille Mediapart (article payant !). La traversée de la Méditerranée peut ainsi s’élever à 6 000 euros par tête sur un cargo, d’après les estimations de Frontex.
Les trafiquants sont devenus des hommes d’affaires
Les trafiquants endossent toutes les responsabilités: c’est autant de moins pour l’Union européenne et les états membres… S’il est parfaitement illégal, ce business repose néanmoins sur une stratégie économique digne d’une compagnie aérienne à bas coût : des « services » supplémentaires très chers. Un trafiquant tunisien arrêté en Sicile a détaillé au Daily Beast (en anglais) quelques-uns des « suppléments » proposés aux migrants, à des prix exorbitants. De l’eau et du thon en boîte atteignent 100 dollars, tandis que gilets de sauvetage et couvertures valent 200 dollars à bord de ces bateaux surchargés. Pour voyager sur le pont du cargo, « en première classe », comme l’appelle Karim El-Hamdi, c’est au moins 200 dollars de plus et 300 dollars pour un appel grâce au téléphone satellite. « Les Syriens achètent tout. Cela a poussé les trafiquants à proposer plus », explique-t-il.
Un autre passeur assure au Guardian (en anglais) : « Je ne suis pas un criminel, j’offre un service. » C’est oublier notamment les violences subies par les passagers, dont certains racontent avoir été battus, quand d’autres évoquent des passagers poignardés et jetés par-dessus bord, rapporte Frontex.
Les trafiquants achètent des vieux cargos sur internet
L’âge des deux cargos à la dérive au large d’Italie, l’Ezadeen (ci-contre), immatriculé en Sierra Leone, et le Blue Sky M (ci-dessous), battant pavillon moldave, était de plus de 40 ans. Outre les canots de pêche, les réseaux de trafiquants utilisent de plus en plus des cargos d’occasion ou des bateaux attendant la casse. Ils leur permettent de transporter plus de migrants bien sûr, mais surtout de tromper les garde-côtes qui patrouillent aux frontières maritimes. « Ces bateaux – parfois pourvus d’équipage russe – sont chers et difficiles à trouver, mais la demande est très élevée (….), évoque Antonio Saccone, responsable des études à Frontex. Cela montre à quel point ces filières sont devenues puissantes et sophistiquées. »
Ces vieux bateaux sont vendus partout dans le monde, « ce qui est légal », affirme David Olsen, expert du journal maritime Lloyd’s List. « Ils sont vendus sur des sites internet et même sur Ebay ». Ces cargos valent « moins que le prix d’un appartement à Londres ». En effet, sur plusieurs sites, francetv info a trouvé des listes de cargos à vendre : des navires de 80 mètres de long, pour moins d’un million de dollars, immatriculés à Panama, en Serbie, ou même en Norvège.
En savoir plus sur http://lagauchematuer.fr/2015/01/05/immigration-la-pompe-aspirante-de-lunion-europeennes-fait-les-affaires-des-passeurs/#vQ0AbdA0I0yfzJJK.99