Entretien réalisé par Robert Ménard.
BV. Les chiffres les plus divers circulent sur le nombre d’étrangers et d’enfants d’immigrés installés en France. Que peut-on affirmer avec certitude ?
MT. La collecte des informations nécessaires à l’estimation de ces nombres n’est pas systématique. Nous ne disposons que de trois estimations pour la France métropolitaine : 8,9 millions en 1986 ; 9,8 millions en 1999 ; 11,7 millions en 2008 (5,2 millions d’immigrés, 6,5 millions d’enfants d’au moins un parent immigré), soit 19 % de la population, comme en Allemagne.[...] Nous sommes entrés, depuis, dans une nouvelle vague migratoire, dans laquelle les flux familiaux tiennent une place importante.
Des chiffres qui recoupent des situations très différentes d’un département à un autre. Ce n’est pas la même chose en Corrèze et en Seine-Saint-Denis…
En effet, l’immigration étrangère touche désormais d’abord les grandes unités urbaines, l’Ile-de-France en premier, et tout particulièrement la Seine-Saint-Denis. La proportion de jeunes d’origine étrangère était ainsi de 57 % en Seine-Saint-Denis, contre 11 % seulement en Corrèze en 2005, dernière date disponible. En Ile-de-France, cette proportion dépassait même 70 % dans sept communes. Mais on observe aussi une certaine diffusion, notamment dans un grand quart Ouest avec par exemple 33 % à Blois, 22 % à Rouen et 20 % à Rennes.
Selon certaines études — et contrairement à ce que certains prétendaient — la deuxième ou la troisième génération ne s’intègreraient pas mieux que leurs parents. Est-ce exact ?
Je ne connais aucune étude sérieuse sur ce que vous appelez la troisième génération. Tout dépend de ce que vous entendez par intégration. Si vous avez en tête l’éducation, les enfants d’immigrés font mieux que leurs parents.
Parmi les jeunes d’origine algérienne, marocaine ou portugaise nés en 1981-1986 et présents en 2008, encore plus de 70 % des pères n’avaient aucun diplôme (ou l’équivalent du certificat d’études primaires) ; 82 % des pères des enfants d’origine turque. Ces résultats sont, heureusement, hors de portée de l’école en France… Si vous avez en tête les aspects culturels et les modes de vie, c’est différent.
Nous avons la population musulmane, en nombres absolus et relatifs, la plus importante de l’UE27 (4,3 millions en 2008), Bulgarie exceptée. Ces musulmans ne sont guère séduits par la sécularisation et y opposent une résistance croissante. Pour l’islam, c’est une question de survie : d’où un resserrement de la transmission, de l’observance en matière de licéité et une stricte endogamie.
Et sur le coût de l’immigration, on a pu lire dans le dernier numéro de L’Express des informations très contradictoires… Qu’en sait-on ?
Sur le coût de l’immigration, la France est assez ignorante. Les calculs qui sont faits par Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, dont L’Express se fait l’écho, portent sur les immigrés au sens strict, leurs enfants nés en France étant comptés du côté des natifs. Beaucoup d’hypothèses sont nécessaires pour avoir une idée de leur coût et de leur apport aux comptes publics.
Cette relative jeunesse ne tient qu’à un apport migratoire permanent car un immigré vieillit, lui aussi, et coûte beaucoup plus cher qu’un natif sur l’ensemble de sa vie. L’immigration, si tant est qu’elle contribue aux finances publiques positivement, est donc un médicament à vie.
Parleriez-vous, comme le fait Renaud Camus, de « grand remplacement » ?
Non, je ne retiens pas cette expression parce qu’elle semble attribuer aux immigrants un dessein qu’ils n’ont pas. Ils ne viennent pas coloniser la France. Ils viennent en France, sans admiration particulière, avec le désir de vivre mieux et exercer les droits qui leur sont ouverts.
Comme ils ne sont plus invités à s’adapter aux modes de vie, mais encouragés, au contraire, à s’installer avec tous leurs bagages, ils n’ont aucune raison de vouloir s’alléger de leurs traditions. Leurs traditions sont d’ailleurs les seules auxquelles les élites reconnaissent encore une légitimité. Il ne faut pas s’étonner que les gens mettent les pieds sur la table si on les invite à le faire.
Si je devais faire suivre l’épithète « grand » d’un mot, ce serait renoncement.