Selon Platon, les chefs de la cité bonne devaient détenir leur autorité de leur connaissance du Juste et du Bien. C’est, là, bien compliquer les choses. L’essentiel pour un dirigeant n’est pas la vertu, ni la connaissance du Bien et des fins dernières du politique : il s’agit d’inverser la courbe du chômage. Tous les problèmes de la France proviennent du chômage.
Si les Français votent FN, c’est bien sûr par désespérance, et cette désespérance vient du chômage. La délinquance ? Elle vient du chômage. Le rejet des « élites » ? Le chômage. La pauvreté ? Encore le chômage. Bien sûr, il n’y a pas de travailleurs pauvres, ni d’instinct de violence et de domination. Et il est impensable, pour les technocrates hors-sol qui nous gouvernent, que certains puissent être, et de plus en plus, attachés à une entité millénaire comme la France, ou qu’ils puissent revendiquer une vraie souveraineté populaire. Le chômage est le père de tous nos maux. Il faut régler ça.
Pour cela, le grand patronat français et ses réseaux au sein des médias et des lobbies, ont trouvé la solution : il faut diminuer le SMIC pour les jeunes travailleurs. Pascal Lamy, ancien directeur de l’OMC (de « gauche ») propose même des « petits boulots » payés 500 euros par mois, sur le modèle allemand. Il faut, en effet, que nos entreprises soient compétitives pour embaucher et investir.
Même si, selon certaines études, le CAC 40 verse 60 % de ses bénéfices aux actionnaires. Ce qui le conduit aussi à pressurer ses sous-traitants. Mais on n’est pas là pour couper les cheveux en quatre, alors poursuivons.
Comme le salut de la France passe purement et simplement par la sacro-sainte inversion de la courbe du chômage, il faut frapper plus fort, il faut un vrai « choc de compétitivité ». Pour être compétitive, la France doit créer la différence. Ce serait possible avec des pays comme l’Espagne et l’Italie, mais que faire face à la Thaïlande et au Bangladesh ? Pas du protectionnisme, évidemment, car le libre-échange, c’est la mondialisation, et la mondialisation, c’est le progrès. La solution est pourtant simple : il faut faire travailler le peuple gratuitement.
D’abord parce que, comme l’explique Pascal Lamy, un travail payé une misère vaut mieux que le chômage mal payé.
Ensuite, parce qu’on ne pourra jamais faire une différence favorable avec les pays émergents avec un travail mal payé, même 500 euros. Et cela ne doit pas en rester au travail peu qualifié, car l’Inde ou la Chine – y compris dans l’informatique – sont de plus en plus compétitives : la compétitivité hors coût fondée sur l’innovation ne suffit donc plus. Tout le peuple doit travailler gratuitement.
Sauf les traders et nos grands patrons – car eux partiront sous d’autres cieux pour être mieux payés – et les députés, qu’il faut inciter à faire un métier ingrat, dur et courageux.
Quant aux autres, ceux qui ne peuvent pas faire jouer le marché du travail planétaire, qu’ils produisent pour nos entreprises. Ils ne pourraient de toute façon pas aller voir ailleurs, car la concurrence universelle poussera tous les salaires à la baisse jusqu’à notre niveau. Merveille du marché : son ordre spontané nous conduira à l’équilibre.
Et au progrès : la plèbe n’aura pas à déprimer dans l’oisiveté et à dépenser son salaire dans la boisson et le jeu. Que demander de plus ?
Bien sûr, il y a toujours des fâcheux, comme le prix Nobel d’économie Paul Krugman pour porter un regard critique sur l’exigence de compétitivité. Mais, on l’a dit, on n’est pas là pour couper les cheveux en quatre.
François Hollande, Michel Sapin et les sages qui nous gouvernent savent ce qui est bon pour le peuple. Alors, retroussez vos manches !