« Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit », écrivait Péguy. Cent ans plus tard, la sentence n’a rien perdu de son actualité. Ainsi, quelques semaines après les attentats islamistes de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher, de quoi débat la France ? Du mal qu’elle a fait à ses enfants d’immigrés. De ses promesses non tenues. De ses idées rances. Et bien sûr, de son « islamophobie ». Pourtant, on ne sache pas que l’islamophobie ait tué à Paris », résume Elisabeth Lévy. Notre directrice de la rédaction réclame tout bonnement « le droit de voir » et de désigner les choses par leur nom sans que la peur de l’amalgame ne nous fasse prendre des vessies pour des lanternes.
La violence aveugle a un drapeau mais pas d’adresse, comme l’analyse magistralement Hubert Védrine, qui nous fait l’honneur d’un grand entretien autour de la menace salafiste, de ses soutiens internationaux et des moyens à mettre en œuvre pour la combattre. « Les terroristes ne peuvent pas gagner », pronostique l’ancien ministre des Affaires étrangères, en appelant à l’émergence d’un islam de France respectueux de nos valeurs. Moins diplomate, on s’en serait douté, Cyril Bennasar s’agace des discours lénifiants qui font des bourreaux de banlieue de pauvres victimes de la société.
À contre-courant de notre ministre de la Jeunesse et de la Ville se déclarant le représentant de la France « qui n’est pas Charlie », Bennasar décrète : « La France qui rit des bondieuseries, tu l’aimes ou tu la fermes. Et si tu ne peux pas, tu la quittes. »
À sa manière, l’islamologue Rachid Benzine exhorte les musulmans de France à balayer devant leur porte. Se battant sur deux fronts, il se désole du dialogue d’aveugles dans lequel la République et la jeunesse des banlieues se sont engluées.
« Pourquoi nier l’évidence ? L’islam d’aujourd’hui peut être violent, mais « il faut regarder en face le « décrochage » d’une partie très importante de la jeunesse « franco-maghrébine » ou « franco-musulmane » par rapport à la société française, qui n’a pas tenu ses promesses », pose-t-il comme termes de l’équation républicaine.
Professeur d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis, Iannis Roder déplore « quinze ans de perdus » à ânonner les mêmes lieux communs sur les zones urbaines sensibles. Alors qu’il avait tiré la sonnette d’alarme dès 2002 et la parution des Territoires perdus de la République, Roder s’étonne du brusque engouement médiatique qu’il a suscité dans la semaine ayant suivi les attentats. Jusqu’ici, les médias n’avaient pourtant assez d’yeux pour compatir à la souffrance de banlieues arrosées d’aides sociales…
Tout aussi édifiant, le reportage d’Antoine Menusier nous montre des associations cache-sexes du salafisme et porteuses in petto d’une conception hallal du monde. Autant dire que Charlie est loin de faire l’unanimité de l’autre côté du périphérique, où l’on a très peu manifesté contre le terrorisme…
Charlie, justement : ils s’appelaient Charb, Tignous, Wolinski, Cabu, ou Bernard Maris. Ils sont morts sous les balles des frères Kouachi, au nom d’une vision fondamentaliste de l’islam qui condamne à mort le blasphème. Ce drame a profondément affecté Philippe Val et Daniel Leconte, respectivement ancien directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, et réalisateur du film sur les caricatures C’est dur d’être aimé par des cons ! Tous deux ont répondu aux questions d’Elisabeth Lévy quant à l’histoire des caricatures danoises de Mahomet, reprises par Charlie Hebdo dès 2005, avant que le président Chirac ne pousse la Mosquée de Paris à poursuivre le journal pour incitation à la haine. Lâchés à l’époque par les médias, à quelques exceptions près, Val et Leconte laissent sourdre leur colère et réaffirment leur insoumission aux fatwas islamistes.
« Soumission », le roman de Michel Houellebecq, souleva le cœur des plus hautes instances de l’Etat avant l’attentat de Charlie Hebdo. Or, ce roman est un roman, nous rappelle Jérôme Leroy dans une tautologie salutaire. Comme dans ses précédentes œuvres, l’écrivain Houellebecq mesure les failles de la société française à la manière d’un sismographe, sans provoquer les séismes qu’il décrit. Partant, il n’est guère étonnant que son personnage de président musulman ressemble à s’y méprendre à Tariq Ramadan – à moins que ce ne soit l’inverse…
Source : Causeur, par Daoud Boughezala (rédacteur en chef de Causeur).
vu sur : http://www.europe-israel.org/2015/02/islam-de-france-et-si-cetait-trop-tard/