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11 mai 2014 01:04

Le plan d'austérité qui permettra au gouvernement d'économiser 50 milliards d'euros n'est pas une politique de gauche.  ShutterStock.com

Dans le courrier que vous nous avez adressé pour préparer ce débat, monsieur le Premier ministre, vous parlez du choix qui s'offre à nous de soutenir ou non votre plan d'austérité de 50 milliards d'euros comme d'un grand moment de « vérité ». La France, la gauche vivent en effet des heures cruciales. Mes collègues du groupe CRC et moi-même n'avons pas l'habitude de fuir nos responsabilités. Je veux donc vous dire la vérité telle que nous la voyons.


« Méfiez-vous des demi-vérités, dit le dicton, vous avez peut-être mis la main sur la mauvaise moitié ». C'est malheureusement ce qui vous arrive, monsieur le Premier ministre. Votre diagnostic comme vos remèdes sont emplis de fausses évidences, de constats erronés, de tous ces dogmes libéraux qui nous ont conduits dans le mur et nous enfoncent chaque jour un peu plus dans la crise. Le pays a déjà payé très cher ces recettes empoisonnées. Il s'affaiblira très gravement encore avec la dose de cheval que vous entendez lui administrer.

Non, les 50 milliards d'euros de coupes drastiques que prévoit votre plan dans les services publics de l'État, dans les remboursements et les prestations de sécurité sociale ainsi que dans les budgets des collectivités locales ne sont pas un pari sur l'avenir, pas un tremplin pour le redressement de la France. Bien au contraire ! Il s'agit simplement de l'un de ces dramatiques plans d'austérité imposés dans toute l'Europe, un de plus, et le plus violent jamais imposé à la France, l'un de ces plans qui, loin de résoudre les problèmes, appauvrissent le pouvoir d'achat des couches populaires, saignent les capacités productives et les ressources, et font finalement exploser la dette et le chômage qu'ils prétendent pourtant réduire.

Vous parlez d'emplois, de croissance, de compétitivité. Mais ce ne sont, avec de telles recettes, que des vœux pieux ! Vos recettes ne marchent nulle part. Des économistes de toute l'Europe, de plus en plus nombreux, le disent. Partout les peuples d'Europe crient leur colère.

L'Europe est enlisée, noyée, asphyxiée sous les coups de cette austérité aveugle et brutale. Votre propre parti, monsieur le Premier ministre, le reconnaît, qui mènera sa campagne européenne sur le thème : « l'austérité en Europe est une erreur ».

Monsieur le Premier ministre, pourquoi devrions-nous approuver aujourd'hui ce contre quoi nous allons voter le 25 mai ?

Mme Éliane Assassi. Eh oui !

M. Pierre Laurent. Pour notre part, avec le Front de gauche, nous ne pratiquons pas le grand écart entre les paroles et les actes ! Nous n'approuverons pas ce plan, même s'il n'est pas soumis au vote du Sénat, et ce pour deux raisons fondamentales.

La première s'énonce clairement : ce plan n'est ni efficace ni juste. Vous nous invitez à la vérité, monsieur le Premier ministre, mais vous ne la dites pas aux Français. Vous assénez une nouvelle fois, comme la droite – M. Jean Arthuis vient encore de le dire –, que la diminution du coût du travail fera baisser le chômage...

M. Jean Arthuis. Je maintiens !

M. Pierre Laurent. ... et que le « zéro charge » sur le SMIC sera une puissante incitation à l'embauche. Vous justifiez ainsi les 45 nouveaux milliards d'euros d'allégements fiscaux pour le capital.

La vérité, c'est que le résultat sera l'exact inverse de ce que vous annoncez. Votre plan va en effet continuer à déprimer la demande et empêchera la reprise de l'activité.

Comment voulez-vous que les investissements publics nécessaires à la relance industrielle, à la mutation de notre système productif, à la transition écologique soient au rendez-vous si vous amputez les crédits de l'État de 18 milliards d'euros et ceux des collectivités locales de 11 milliards d'euros alors que ces dernières tirent une part grandissante de l'investissement public ?

Comment voulez-vous soutenir la demande si vous rognez le pouvoir d'achat de la majorité des Français, déjà largement amputé par la hausse de la TVA et demain plus encore par la réduction drastique de plus de 20 milliards d'euros des moyens de la couverture sociale de l'ensemble de nos concitoyens ?

Tout cela sapera les fondements d'une reprise économique durable.

Comment pouvez-vous affirmer aujourd'hui que les 45 milliards d'euros que vous offrez au patronat, sans contreparties, sans aucun nouveau droit de contrôle pour les salariés, sans réduction du pouvoir des actionnaires, sans réforme de justice fiscale, sans moyens de lutte supplémentaires contre la fraude et l'optimisation fiscales, serviront cette fois l'emploi ?

Vous ne pouvez pas plaider l'ignorance. Il suffit de regarder en arrière et de faire le bilan de vingt années de politiques de réduction des prélèvements fiscaux des entreprises : depuis 1992, le coût de ces exonérations s'établit à 250 milliards d'euros ! Pour quel résultat ? Un taux de chômage record !

Vous entérinez le CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Mais qui va empocher quoi en 2014 ? Ainsi, dans le secteur du bâtiment, pourtant massivement non délocalisable, le groupe Eiffage, qui ne se porte pas trop mal, va toucher un chèque de 94 millions d'euros de l'État. Autre exemple, dans le secteur de la grande distribution, Carrefour empochera pour sa part un chèque de 125 millions d'euros ! Qui en verra la couleur ? Les salariés ou les actionnaires ?

Mme Annie David. Eh oui !

M. Pierre Laurent. Prudent, vous dites que les parlementaires et les syndicats seront associés à l'évaluation de ces exonérations a posteriori. Pourquoi donc ne pas avoir commencé par là, en mettant à plat le contrôle de toutes les aides déjà versées ?

Dans ces conditions, le « zéro charge » sur le SMIC ne permettra pas de créer des emplois, mais favorisera les politiques de bas salaires et d'emplois précaires.

Votre bilan, – nous pouvons vous l'annoncer à l'avance – ce sera non pas le recul du chômage, mais le maintien d'un haut niveau de chômage et une nouvelle explosion du nombre de travailleurs pauvres en lieu et place des salariés qualifiés et des salaires décents dont notre pays a besoin.

Vous n'avez plus vous aussi, monsieur le Premier ministre, que le coût du travail à la bouche, mais le tabou que vous ne voulez pas briser, c'est celui du coût du capital, des énormes gâchis financiers dont nous payons l'addition.

Sur la dette non plus, vous ne dites pas la vérité. Vous rappelez qu'elle a bondi de 65 % en 2007 à 90 % en 2012. C'est vrai, mais vous rapprochez ce chiffre du montant de la dépense publique dans le PIB pour laisser entendre qu'elle en serait la cause. C'est un mensonge, et vous le savez.

Durant cette période, ce qui a explosé, ce n'est pas la dépense publique, que Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les travées de l'UMP.) et la droite s'employaient déjà à massacrer, c'est le coût de la crise des marchés financiers,...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ça, c'est vrai ! Bonne analyse.

M. Pierre Laurent. ... dont tout le fardeau a été transféré aux États. Allez-vous vous battre contre ces coûts financiers, allez-vous faire payer les banques, allez-vous travailler à réduire les taux, à changer les critères du crédit, à modifier le rôle et les missions de la Banque centrale européenne ? Vous ne dites pas un mot sur ces questions.

Vous n'avez pas le courage de vous attaquer à la finance. Vous bombez le torse, mais, en vérité, il est plus facile d'être dur avec les faibles que fort face aux puissants ! (M. Jean-Jacques Mirassou s'exclame.)

Si vous voulez lutter contre le chômage et vous attaquer aux puissants, monsieur le Premier ministre, avec votre gouvernement, consacrez un peu moins de temps à vos obsessions d'austérité et surveillez de plus près les actionnaires, par exemple ceux d'Alstom, qui bradent sans vergogne le potentiel productif du pays.

Dans ce dossier stratégique pour la nation, allez-vous agir réellement, pas seulement en mots, quitte à engager la puissance publique, ou allez-vous continuer, avec le Président de la République, à compter les points en jouant les arbitres entre concurrents américain et allemand ? L'Élysée et Matignon, que je sache, ne sont pas des sièges de tribunaux de commerce ! Alstom, ses turbines et ses TGV, sont un bien qui appartient au patrimoine national. Dans ce dossier, la France doit parler haut et fort sans se laisser dicter sa loi par les marchands. L'occasion devrait être saisie d'engager le grand chantier d'un pôle public de l'énergie et des transports.

Vous ne dites pas non plus la vérité, monsieur le Premier ministre, sur les conséquences sociales de votre plan. Vous répétez des chiffres – 18 milliards d'euros pour l'État, 11 milliards d'euros pour les collectivités, 10 milliards d'euros pour la santé et 11 milliards d'euros pour notre régime de protection sociale –, mais vous entrez assez peu dans les détails, vous bornant à déclarer que « toutes les pistes sont envisagées ».

En réalité, la ponction va être massive sur l'emploi et sur le pouvoir d'achat. Vous confirmez déjà le gel du point d'indice dans la fonction publique, alors que les agents sont pour l'essentiel des petits salaires – 75 % des fonctionnaires sont de catégorie C –, et le gel des prestations sociales, lequel est tout aussi injuste. Vous mettez en avant des mesures en trompe-l'œil, comme le transfert d'une partie de la feuille de paie des smicards. Mais le total de la feuille de paie, lui, ne changera pas. Au passage, c'est le financement de la sécurité sociale qui sera fragilisé.

Vous avez vanté ces derniers jours le maintien en 2014 de la revalorisation des petites retraites, en oubliant de dire que le report d'avril à octobre de cette revalorisation annuelle amputera chaque année leur pouvoir d'achat.

Vous dites qu'il y aura moins d'impôts, mais pour qui ? Tous les allégements prévus seront pour les entreprises.

Sur de nombreux autres sujets, vous n'entrez jamais dans les détails. Ainsi, vous ne dites pas combien d'emplois seront supprimés dans la fonction publique territoriale, quels médicaments seront déremboursés, quels hôpitaux, quels services seront fermés. Vous ne dites pas non plus quelles aides au logement, quelles subventions aux associations seront amputées.

Quant aux collectivités territoriales, vous annoncez leur dépeçage, vous sacrifiez le maillage démocratique local sur l'autel de la réduction des dépenses publiques, suivant à la lettre l'adage libéral selon lequel on ne fait pas de « bonne austérité » sans autoritarisme d'État. En vérité, votre réforme territoriale introduit la concurrence entre les territoires.

Vous nous demandez de vous faire confiance, mais commencez donc par jouer totalement et réellement cartes sur table.

En fait, c'est toujours le syndrome de la demi-vérité ! Si le sujet n'était pas aussi sérieux, je dirais que vous me faites penser à Coluche, qui disait : « On ne peut pas dire la vérité à la télévision : il y a trop de monde qui regarde ».

M. Manuel Valls, Premier ministre. C'est un compliment. Je vous remercie. Vous avez de bonnes références !

M. Pierre Laurent. Enfin, monsieur le Premier ministre, nous ne voterons pas ce plan pour une raison démocratique et politique essentielle. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Albéric de Montgolfier. Il n'y a pas de vote !

M. Pierre Laurent. Vous m'avez compris !

M. Éric Doligé. Le Sénat est puni !

M. Pierre LaurentLes Français n'ont pas élu François Hollande pour subir cette politique-là. Ils viennent d'ailleurs de le lui signifier clairement dans les urnes lors des élections municipales. Cependant, tournant plus encore le dos à leurs attentes, le Président de la République vous a nommé en vous donnant le mandat d'amplifier la politique d'austérité. Or l'élection présidentielle n'est pas un blanc-seing donné à celui qui l'emporte. C'est un mandat, et le Président de la République est tenu de rendre des comptes devant les électeurs.

Or cette politique n'a pas de majorité populaire. Elle n'a pas de majorité à gauche. Que vous l'assumiez totalement, en le répétant presque comme un argument d'autorité, ne change rien à l'affaire. Votre plan n'a pas obtenu de majorité à gauche à l'Assemblée nationale. Cette politique est menée contre une partie grandissante de la majorité du pays, qui a permis le changement en 2012, contre les électeurs du Front de gauche, contre une partie grandissante des socialistes et des écologistes. Cette situation inédite ne fait que révéler un peu plus l'archaïsme anti-démocratique de notre monarchie présidentielle.

M. Jean-François Husson. Oh là là !

M. Pierre Laurent. Pour notre part, nous ne pouvons cautionner un mode de gouvernement qui en appelle davantage à la discipline présidentielle qu'à la conviction parlementaire et au respect des électeurs.

Devant ce triste spectacle, la droite se frotte les mains.

M. Alain Fouché. Les communistes aussi !

M. Pierre Laurent. Certains applaudissent en sourdine, d'autres vous critiquent en vous demandant d'aller toujours plus loin dans la même direction ; Jean Arthuis vient de faire les deux à la fois. Plus grave encore, devant ce spectacle affligeant, l'extrême droite de Marine Le Pen cultive le désespoir. Nous ne donnerons pas la main à ce scénario de la défaite. Vous prenez la lourde responsabilité d'engager une politique qui peut conduire à un échec durable de la gauche,...

M. Gérard Longuet. Si seulement...

M. Pierre Laurent. ... à un retour aux affaires de la droite et à un renforcement du Front national. Vous rendez les armes idéologiques sans combattre. Ne comptez pas sur nous pour accepter ce reniement.

Vous pouvez continuer à penser que le problème du Gouvernement tient plus à sa communication, à une question de leadership, à un manque de pédagogie. Vous pouvez continuer à vous voiler la face. D'autres l'ont fait avant vous. Cela ne changera rien à la défiance des Français.

M. Alain Fouché. Lesquels ?

M. Pierre Laurent. Aujourd'hui plus encore qu'hier, nous ne baissons pas la garde. Nous n'abandonnons pas l'idée qu'il existe une voie à gauche et qu'il ne tient qu'à nous de la construire. C'est pourquoi nous disons notre désir de travailler avec toutes celles et ceux, au Parlement et dans le pays, qui gardent le cœur à gauche, qui doutent et ressentent au fond d'eux-mêmes un profond malaise face aux orientations du Gouvernement. À nous de construire une alternative de gauche,...

M. Alain Fouché. On l'attend toujours !

M. Gérard Longuet. On attend avec impatience !

M. Pierre Laurent. ... celle de la justice et du partage, en imaginant la France de demain. Oui, une politique de gauche, fidèle aux valeurs de justice et d'égalité, reste possible. Vous y renoncez, monsieur le Premier ministre. Nous allons la reconstruire.

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CITOYENS ET FRANCAIS - dans Politique