Ceux qui ont entendu François Hollande évoquer les fractures françaises ont eu l'impression, par instants, de ne plus savoir où ils habitaient.
Leur pays, qu'ils pensaient naïvement composé de villes, de campagnes, de paysages, de chefs-d'œuvre du patrimoine, de vestiges d'une histoire glorieuse (sait-on jamais?), n'était plus qu'un immense terrain d'expérience sociologique.
Un laboratoire à ciel ouvert peuplé d'individus que l'on «respecte», qu'il ne faut pas «stigmatiser», mais à qui il faut apprendre à «vivre ensemble».
Le Français des villes a confusément compris qu'il devait prendre en compte la difficulté des «quartiers» (lesquels? le Quartier latin?) ; celui des champs, qu'il était un «citoyen de la ruralité». L'hésitant qui balance entre les deux se trouvait sur une ligne floue entre «le périurbain» et la «périruralité».
«Vivre ensemble», ces deux mots que l'on peut rattacher d'un trait d'union apparaissent de plus en plus comme le paravent de nos impuissances et de nos abandons. La réalité la plus élémentaire -le fait de vivre dans une relative sociabilité avec son environnement immédiat, ses compatriotes- est devenue un idéal inaccessible.
Où commence le «vivre ensemble»? Le premier espace où l'être humain se trouve contraint de partager son existence avec des personnes qu'il n'a pas choisies, c'est avec ses parents et éventuellement ses frères et sœurs. La famille est donc le premier lieu du «vivre ensemble».
Elle est aussi celui de l'éducation élémentaire. Elle permet aux jeunes générations d'aller puiser à l'expérience des anciens, et aux anciens de retrouver la fraîcheur de l'enfance. Déjà disloquée par le consumérisme, la famille, depuis deux ans et demi, est réduite à une catégorie électorale anachronique que le gouvernement socialiste traite soit avec dureté, soit avec indifférence.
« Enfant, tu dois aimer la France, parce que la nature l'a faite belle, et parce que son histoire l'a faite grande », disait Ernest Lavisse.
Pendant des décennies, le service militaire a permis au jeune adulte certifié ou non d'apprendre à vivre avec ses compatriotes. Sur des motifs comptables, habillés d'efficacité stratégique, il a été suspendu en 1996.
La vie professionnelle, enfin, renforce et perpétue la sociabilité.Une partie grandissante de la population en est aujourd'hui privée.
C'est parce que toutes ces communautés naturelles sont de plus en plus fragiles (quand elles n'ont pas disparu) que chacun cherche ceux qui lui ressemblent le plus. Ils s'installent côte à côte et restaurent, sur une identité de plus en plus réduite, un «nous commun».
Plusieurs essayistes, dont le géographe Christophe Guilluy, ont montré que «les communautés» faisaient de plus en plus ce choix. Le vêtement, la nourriture, l'art de vivre, le plus petit détail renforcent la séparation.
À ce fiasco répond un ordre unique et impérieux: mélangez-vous et entendez-vous!
En 1882, dans son célèbre discours à la Sorbonne, Ernest Renan définissait la Nation comme une «une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent.
L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis». De tout cela que reste-t-il? Deux mots réduits à un slogan qui sonne de plus en plus creux: «vivre ensemble».
vu sur : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/02/06/31003-20150206ARTFIG00381-quand-la-france-se-reduit-au-vivre-ensemble.php