La révolution du jasmin a provoqué un téléscopage des mentalités. Un café halal vient d’ouvrir et les grandes surfaces proposent différents modèles de burkini.
Printemps arabe: hiver des femmes
Il n’est plus sûr aujourd’hui que la Tunisie puisse offrir le même «dépaysement exotique». Au lendemain de la victoire d’Ennahda, les Tunisiens découvrent qu’une frange non négligeable d’entre-eux aspire à un autre modèle de société.
Quelques jours après leur éclatante victoire électorale, Souad Abderrahim, porte-parole du parti Ennahda donne le ton et déclare à la radio:
«La liberté absolue n’existe pas, la liberté, c’est d’abord respecter les traditions et les règles morales (…) Il ne manquerait plus que les lois protègent ces femmes célibataires qui vivent dans la transgression de nos valeurs.»
En marge de cela, la venue de prédicateurs égyptiens radicaux, comme Wajdi Ghanim, qui prônent l’excision ou la lapidation, ou l’arrivée d’une délégation composée de 500 femmes appartenant au mouvement Hizb Ettharir (pouvant se traduire par parti de la libération) venue promouvoir l’idée d’un 6e Califat, ne va pas servir la lutte pour l’égalité.
Démocrates, progressistes, opposants: tous des mécréants!
Avant la révolution, la frontière entre le profane et le sacré était assez claire. Au cours des derniers mois, la démarcation s'est faite de plus en plus imprécise; l'affaire de Nessma TVen est un exemple édifiant: le patron de la chaîne se retrouve devant les tribunaux pour avoir diffusé Persepolis, film qui fut projeté, quatre ans plus tôt, dans les salles de cinéma sans provoquer la moindre réaction.
Nassredine Ben Saïda, directeur d'un quotidien arabophone Ettounissia a écopé d'une amende pour atteinte à l'ordre public et aux bonnes mœurs à cause de la publication d'une photo de femme légèrement vêtue. En avril 2012, Jaber El Majri, professeur d'anglais et Ghazi El Beji, écrivain, sont condamnés à 7ans de prison et à verser une amende de 600 euros pour propagation d'idées anti-islamiques.
Un groupe de salafistes s'est rassemblé dimanche 10 juin devant la galerie Printemps des Arts à La Marsa, un quartier résidentiel dans la banlieue nord de Tunis, en signe de protestation et pour exiger le décrochage d'œuvres jugées insultantes pour l'islam. Une chasse aux sorcières et à 'l'islamiquement incorrect' semble être menée.
Les intellectuels tunisiens soulignent dans un manifeste la dangerosité de la répétition de ces actions répressives et l'urgence de la situation:
«Les agressions contre les intellectuels, les artistes, les universitaires, les acteurs politiques se sont multipliées.
Des appels au meurtre s’élèvent demosquées transformées en lieux de sédition et d’activisme politico-religieux.
Les violations touchant l’intégrité des institutions et des personnes nesuscitent ni l’intervention de la police,
qui observe les exactions sans agir.»
Un prédicateur salafiste proche d'Ennahda, Béchir Ben Hassen, pousse la logique de la diabolisation en l'étendant jusqu'aux opposants politiques:
«Tous ceux qui s'opposent au gouvernement légal, qu’ils sachent qu’ils nedéfendent pas l’islam,
mais cherchent à nuire à la religion et auxmusulmans», déclare-t-il, lors d'un prêche.
Suite et source : Slate Afrique